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Critique de si-bemol


« Savoir se réjouir. Se réjouir de tout. Ne pas attendre que l'année nous apporte quelque chose d'essentiel, de vrai. Car il est fort probable que l'essentiel se produit à l'instant présent et que l'avenir ne nous apportera rien de plus beau. »

Dans ce roman (peut-être) autobiographique et en tous cas thérapeutique qu'Ota Pavel écrivit sur les conseils de son médecin alors qu'il était hospitalisé pour dépression sévère, le narrateur se souvient avec infiniment de tendresse de son enfance et de son père, dans la Tchécoslovaquie de l'entre-deux-guerres. C'est un père totalement farfelu, représentant de commerce chez Electrolux, champion du monde officiel des vendeurs de réfrigérateurs et d'aspirateurs. C'est également un homme inculte, presque illettré, tout à la fois naïf et roublard, qui ne doute jamais de rien et surtout pas de sa chance, affronte les situations avec un aplomb sans faille et bouillonne en permanence de projets rocambolesques et inévitablement désastreux.

De l'achat délirant d'un étang à carpes (dans lequel il investit toutes les économies de la famille), d'une voiture hors de prix qu'il ne sait pas conduire, à ses exploits de pêcheur émérite, ses inventions douteuses et les humiliations qu'il aura à subir, en passant par sa passion de collégien, aveugle et déraisonnable, pour la belle épouse blonde de son chef, nous suivons les aventures et les tribulations de ce personnage totalement farfelu et parfois dangereusement inconscient, un « meshuga » de la plus belle eau, insolent de surcroît, et « un voleur de coeurs » auquel personne, jamais, ne résiste.

De ce père tendrement aimé, de cette famille et de cette enfance où la nature – lacs, rivières, campagne et forêts – la pêche et les poissons occupent une place considérable, Ota Pavel fait un portrait cocasse et contrasté qui mêle l'amour et la drôlerie, la douceur et le chagrin. Car en toile de fond de ce tableau burlesque et plein de fantaisie se dessinent, de manière presque allusive et par petites touches, la montée du nazisme en Tchécoslovaquie, les lois anti-juives, la tragédie des camps, de la guerre puis du communisme qui frapperont de plein fouet toute la famille et ce papa charmeur, farfelu – et juif.

« Comment j'ai rencontré les poissons » est l'unique roman d'Ota Pavel, mort à 42 ans, et un grand classique de la littérature tchèque. J'ai beaucoup aimé son humour réjouissant, son écriture drolatique qui en font « une lecture physiquement contagieuse qui produit des bulles de joie sous la peau » (Erri de Luca), ce personnage improbable, irrésistible et profondément attachant et cette famille brouillonne et atypique, mais aussi la tendresse et la belle humanité qui transparaissent dans chaque phrase et cette volonté, pudique et entêtée, de « se réjouir de tout », tout le temps et malgré tout, et de survivre.

Une très belle lecture qui m'a serré le coeur autant qu'elle m'a fait rire, et une belle découverte.

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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