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Critique de LaBiblidOnee


Eh bien quelle visite les amis ! Voici un château dont la plume me hantera longtemps : Celui de Gormenghast avec sa lignée d'aristocrates d'Enfer… tout feu tout flamme ! Ne vous attendez pourtant pas à un château plein de fantasy ni d'horreur. C'est un roman d'ambiance gothique, à découvrir pour sa plume ensorceleuse, qui donne vie à ces 400 pages… d'Enfer ! le cycle de Ghormenghast raconte son histoire en 3 tomes (1100 pages). Ce tome 1 est consacré à Titus d'Enfer, du nom de l'héritier qui y naît enfin.


Sous peine, comme ses habitants, de se laisser engloutir par ses ténèbres, Gormenghast est un château que le lecteur doit activement explorer. La plume de Mervin Peake est le meilleur guide : animiste, espiègle, qui fait à elle seule tout le charme de l'histoire et des personnages. Ceux-ci, pour la plupart, n'ont rien d'autre à faire que de comploter les uns contre les autres. Car sous ses faux airs immuables, imperturbables et placides des grandes lignées, une rude bataille de pouvoir est livrée au fin fond de ce château, personnage principal d'une famille entièrement régie par les rituels, et au sein de laquelle chacun a sa place bien déterminée ; Mais ce n'est pas toujours celle qu'il ou elle voudrait… Des gens de sang aux domestiques, tous désirent ce qu'ils n'ont pas : la liberté des uns, le pouvoir des autres, la jeunesse ou l'expérience… l'amour.


« Ce n'était pas souvent que Craclosse contemplait d'un oeil indulgent le bonheur des autres. Il voyait dans le bonheur les germes de l'indépendance, et, dans l'indépendance, ceux de la révolte. »


Et si l'équilibre est bousculé dans le château ancestral du Comte d'Enfer, de son épouse qui parle aux oiseaux (!) et de sa fille évaporée qui nous le fait visiter, c'est que l'héritier tant attendu, Titus d'Enfer, naît le jour de notre arrivée au château. Branle-bas de combat aux cuisines, si goulument décrites, pour le valet personnel du comte bientôt menacé, pour la vieille nounou qui doit trouver une femme au village pour allaiter l'enfant en restant indispensable, pour le canonique maître du rituel et son fils encore plus momifié, pour les tantes jumelles jalouses de l'héritier qui sont prêtes à tout pour prendre sa place, bref : bienvenue au musée des horreurs, où chaque portrait est dépeint comme les bocaux de ces savants fous, faisant naître en nous la vision d'un secret cabinet de curiosités, que la plume virtuose de Mervin Peake chatouille et anime sous nos yeux ébahis. Oui, décidément, l'atout majeur de ce livre est cette plume qui dessine chaque personne et chaque objet, animant chaque détail grâce à ses descriptions quasi-vivantes.


« Nannie Glu tourna ses yeux bordés de rouge vers l'homme imberbe, à la tignasse en bataille et dont les prunelles nageaient comme deux méduses derrière les verres de ses lunettes ».


L'auteur a un don sans pareil pour décrire cet univers gothique de la manière la plus imagée possible. C'est peut-être que, comme Maryam Petrosyan lorsqu'elle a écrit sa sublime et labyrinthique « Maison Dans Laquelle », l'auteur a d'abord dessiné son univers avant de nous le livrer, ce que l'on ressent véritablement à la lecture. Il faut dire que le dessin est autant son univers que l'écriture, puisque ce sont très certainement les illustrations de Mervyn Peake que vous avez à l'esprit lorsque vous pensez à Alice Au Pays Des Merveilles !


Pour autant, comme dans toute maison où l'extraordinaire devient l'ordinaire, on pourrait s'ennuyer si l'auteur ne nous dispensait pas quelques menues aventures, des explorations insolites de ce château qui fait rêver, d'innocentes magouilles ou de plus machiavéliques intrigues, certaines luttes de pouvoir, quelques tentatives de meurtre et, comme dans tout catacombe d'un château de cet envergure… quelques cadavres ! Ajoutez à l'ambiance les noms des personnages qui correspondent à leurs porteurs, et vous aurez un aperçu de cet univers truculent : Glu (la nounou pot de colle), Lenflure (l'enfoiré de cuisto qui pimente l'histoire), Finelame (le commis de cuisine arriviste qui fera l'histoire en manipulant tout le monde), Salprune (le docteur qui lève le coude mais a beaucoup de finesse), Craclosse (le vieux valet sur la sellette) et j'en passe, sans compter le comte d'Enfer lui-même — qui en vit un, dans la prison dorée de sa maudite lignée.


« Nannie Glu entra, portant dans ses bras l'héritier de millier d'hectares de pierres croulantes et de vieux ciment, l'héritier de la tour des Silex et des douves stagnantes, des monts déchiquetés et du fleuve glauque où, douze ans plus tard, il irait pêcher les poissons hideux de son héritage. »


Où en sera-t-on douze ans plus tard ? A nous de le découvrir, en lisant la suite !
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