IL N’A PAS TOUJOURS ÉTÉ COMME ÇA. Pour moi, il reste ce petit garçon timide qui aimait s’isoler dans la bibliothèque de notre père, ou parfois à la cave, pour se livrer à des expériences de chimie. Mon grand frère, James. Un garçon, donc – ça, je n’y peux rien, mais je ne lui en tiens pas rigueur. Et je ne vais pas vous mentir, je sais précisément à quel moment il a basculé du mauvais côté : durant notre scolarité à la Baskerville Academy.
Ce qui suit est mon compte rendu des événements auxquels j’ai assisté ou qui m’ont été relatés – car, oui, j’étais et je suis encore la confidente de mon frère. Aussi loin que je me rappelle, nous avons toujours été les meilleurs amis du monde.
À une époque, il n’avait aucun secret pour moi, il me disait tout ! C’est moins vrai depuis quelque temps. Mais je peux vous assurer d’une chose, chers lecteurs : tout petit déjà, James Keynes Moriarty semblait savoir qu’un destin grandiose l’attendait. Pas cette grandeur qu’on imagine en général, mais une forme de grandeur malgré tout. Et il avait conscience, je crois, qu’il fallait conserver une trace objective de sa vie – c’est ce qui m’a valu sa confiance. Je suis devenue sa chroniqueuse, son scribe, sa biographe. Et désormais, c’est à vous que je passe le relais. La tâche est lourde, je ne vous le cache pas.
J’ai pris quelques libertés avec les dialogues, du fait que James est une vraie pipelette quand il commence à raconter ses souvenirs. J’ai fini par prendre des notes et, sans entrer dans les détails, j’arrive à le suivre. Quand je n’ai pas été le témoin direct des faits que je relate, je connais cependant les lieux mentionnés, je m’y suis parfois rendue avec lui, ou bien seule après coup pour plus de précision. À l’occasion, j’ai interrogé d’autres personnes et interprété leurs récits à ma façon. Il m’a semblé qu’elles s’exprimaient avec sincérité. Il m’a aussi fallu recréer telle ou telle situation, m’efforcer de reconstruire une scène comme un réalisateur de cinéma. Si les émotions que je transmets sont celles de James, je n’irai toutefois pas jusqu’à prétendre que les miennes ou celles d’autrui ne transparaissent pas dans ces pages. Et je vous révèle encore un secret : mon frère tenait un journal intime dont il ignorait, jusqu’au début de cette histoire, que je connaissais l’existence. Je le lui empruntais à l’époque, je le lui emprunte encore. Sœur un jour, sœur toujours…
Une amitié ne vaut rien si l'on n'est pas soi-même.
- Oh, tes expressions, je te jure ! Tu n'en connais pas de moins vieillottes ?
- Une expression n'a pas à être récente pour être exacte.
L'imitation est la forme de flatterie la plus sincère.