Citations sur Goliarda Sapienza, telle que je l'ai connue (15)
2. « Il y avait dans son geste une volonté qui allait au-delà de l'acte [le vol des bijoux]. En fait, elle voulait aller en prison.
Je crois même que l'expérience carcérale marqua sa renaissance. Dans sa famille, la prison avait toujours représenté le lieu obligé pour connaître la fièvre qui se répand dans le corps social et qu'on refoule, enferme, entre ses murs. Pour eux, on ne connaissait pas une société si l'on ne connaissait pas ses prisons, ses hôpitaux et ses asiles. Les parents de Goliarda furent souvent l'un et l'autre emprisonnés pour des raisons politiques, surtout Maria Giudice » (p. 39)
1. « […] à un certain moment, Goliarda s'était sentie complètement abandonnée de son milieu. Elle, qui avait été une actrice importante dans l'après-guerre, qui travailla plusieurs fois avec Luchino Visconti, elle qui était restée en lien à travers son compagnon Maselli avec ce monde intellectuel composite qui gravitait alors autour du PCI et qui continuait à avoir une grande emprise sur le cinéma, l'édition, le théâtre et le milieu des arts de l'époque (monde envers lequel, cela dit, Goliarda fut toujours critique, même si c'était en termes contenus, car elle en redoutait le pouvoir objectif), elle s'était retrouvée seule.
Ce fut pour briser le silence et l'omertà imposés par la figure tutélaire de ce monde que Goliarda commit un vol symbolique qui l'amena à la prison de femmes de Rebibbia. Le scandale fut énorme dans la Gauche italienne, qui comprit tout de suite le caractère provocateur de son geste et chercha à l'occulter par tous les moyens. La fille de Maria Giudice, cette figure du socialisme et ce modèle d'intégrité, qui n'avait jusque-là pas même dérobé un simple biscuit, était désormais obligée de voler une poignée de bijoux pour pouvoir vivre, quand tous les intellectuels et artistes de sa génération évoluant autour du PCI avaient fait carrière et vivaient, en ex-révolutionnaires, dans un luxe bourgeois... Il y a un film, de Maselli justement, qui représente très bien cette régression, _Lettera aperta a un giornale della sera (Lettre ouverte à un journal du soir)_. On y retrouve les contradictions de cette Gauche italienne issue de la Résistance qui, d'une part, déclarait non sans ambiguïté accepter le jeu démocratique, et de l'autre continuait à croire en la révolution alors même qu'un accord tacite des Soviétiques avec les Américains – les équilibres de Yalta – rendait objectivement cet horizon impossible. » (pp. 34-35)
Goliarda regretta d’avoir dû quitter si vite la prison, et pas seulement pour l’occasion manquée de faire scandale autour de – L’Art de la joie- . Elle avait le sentiment d’avoir été séparée trop vite de la vie carcérale et de ses camarades. En prison, Goliarda était redevenue elle-même. Elle était sortie de la dépression en y retrouvant, d’une certaine manière, ses ruelles de San Berillo à Catane, une agora, une société réelle. Elle y découvrit amitié et sororité, la réalité du combat pour survivre, et aussi des formes de courage et de solidarité dont elle ressentait le manque depuis longtemps. (p. 41)
Ce fut pour briser le silence et l'omertà imposés par la figure tutélaire de ce monde que Goliarda commit un vol symbolique qui l'amena à la prison de femmes de Rebibbia. Le scandale fut énorme dans la Gauche italienne, qui comprit tout de suite le caractère provocateur de son geste et chercha à l'occulter par tous les moyens. La fille de Maria Giudice, cette figure du socialisme et ce modèle d'intégrité, qui n'avait jusque-là pas même dérobé un simple biscuit, était désormais obligée de voler une poignée de bijoux pour pouvoir vivre, quand tous les intellectuels et artistes de sa génération évoluant autour de PCI avaient fait carrière et vivaient, en ex-révolutionnaires, dans un luxe bourgeois. (p. 35)
Autant le dire, nous vivions fort pauvrement, à l'affût de petits boulots occasionnels. C'était déjà un paradoxe dans un pays qui traversait une époque de bien-être généralisé. Mais nous avions fait des choix de vie radicaux et nous ne pouvions plus revenir en arrière. Nous nous étions placés en dehors du système productif, comme on dit. (...)
Elle avait une capacité de transfiguration de la réalité qui transcendait toute pauvreté. où que ce fût, et peu importe les conditions matérielles, avec elle, on se sentait toujours riche; ce n'est pas une exagération. Les journées se passaient dans une continuelle effervescence émotionnelle et intellectuelle. A la limite, le seul risque était que nous nous enfermions dans une bulle qui nous aurait dangereusement isolés. (p. 33)
Elle gardait, mêlée à une gaieté infinie, l'état d'esprit d'une opprimée politique. Contradictoire ? Peut-être, mais qui s'entendait mieux qu'elle en contradictions ? Elle n'oublia jamais les durs entraînements suivis avec ses frères aînés, qui voulaient faire d'elle un Partisan, le temps passé à tirer ou à s'exercer à la boxe (...) (p. 31)
Le soir, si elle pouvait, elle sortait presque toujours : comme je l'ai dit, sa sociabilité était légendaire, son intérêt pour les êtres humains n'avait pas de limites. On aurait même pu dire que c'était excessif, mais il en était ainsi. Elle savait parler avec tout le monde, sans jamais changer sa façon d'être, qui restait la même avec toutes les classes sociales. C'était une expérience fascinante de la voir discuter avec un simple ouvrier de la même façon qu'avec un riche bourgeois, l'un des traits les plus renversants de son caractère. (p. 28)
De 1967 à 1976, pour pouvoir travailler toutes ces années à L'Art de la joie-, elle avait dû vendre tout ce qu'elle possédait, y compris les tableaux et autres objets d'art de nombreux amis artistes qui, de temps en temps, l'aidaient en lui donnant une de leurs oeuvres. (...) mais , malgré tout cela, la vie continuait. Les jours se suivaient, toujours merveilleux, de ce genre de merveilleux que seul un écrivain, peut-être , peut apprécier dans toutes ses nuances. (p. 25)
Il n'est pas exagéré de dire que la noble figure de révolutionnaire de Maria Giudice transmit à Goliarda des devoirs moraux et des idéaux qui pesèrent sur une bonne partie de sa vie, du fait , aussi, de l'amour et de l'admiration que Goliarda ne cessa de lui porter. Par sa mère, Goliarda découvrit toute la littérature politique et philosophique anarchiste et socialiste, d'avant et d'après le marxisme. (p; 19)
Tout aussi importante que celle de son père fut l'influence de sa mère, qui transporta depuis l'Italie du Nord jusqu'en Sicile l'écho de ces grandes luttes socialistes et de l'ultime résistance à l'expansion du fascisme qui ont marqué- on peut le dire-tout le XXe siècle italien. A cause de ses opinions, Maria Giudice resta assignée à résidence à Catane pendant vingt ans. (p. 16)