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Critique de pasiondelalectura


La vie mode d'emploi est une oeuvre colossale, le chef d'oeuvre de Perec, qui porte le sous-titre de Romans bien mérité car ce livre est un roman dans plusieurs romans : 600 pages, 6 parties, 99 chapitres et un épilogue, 2000 personnages. L'ambition dans ce livre est l'exhaustivité qui est aussi l'ambition de toute l'oeuvre de Perec.

L'espace précis de ce roman est un immeuble sis au 11 de la rue Simon Crubellier dans le XVII arrondissement de Paris (lieu fictif), dans un immeuble construit en 1875 avec un récit qui se terminera exactement le 23 juin 1975 vers 20 heures. C'est un immeuble de 6 étages plus 2 étages de combles et des caves.

C'est une oeuvre totale, une fresque qui parle de la vie et de la mort et qui comprend plusieurs genres : policier, aventures, sociologique, sentimental, fantaisiste, picaresque, jubilatoire. le livre est écrit principalement au présent de l'indicatif; ce texte énigmatique et extrêmement riche, oblige le lecteur à trouver son chemin. L'unité temporale est donnée par la mort de l'un des deux personnages principaux, l'anglais Percival Bartlebooth le 23/08/1975. Dans ce roman on aborde de multiples savoirs imaginaires donnant des détails fragmentaires et jouant comme des moteurs dans le récit :cartographiques, historiques, archéologiques, ethnographiques, en pétrochimie, peinture, lexicographique et j'en passe. Mais ici le savoir n'a pour fin que le romanesque teinté d'humour parfois irrésistible.

La cahier de charges de ce roman est constitué de 42 listes de 10 éléments chacune. Chaque liste est associée à un modèle mathématique, le bi-carré latin orthogonal d'ordre 10, grille de 10*10 cases qui se superpose au plan de l'immeuble. Ce modèle a permis à Georges Perec de repartir dans chaque chapitre les 420 éléments listés sans rien laisser au hasard et en évitant toute répétition. Et pour passer d'un chapitre à un autre, il a recours à un problème de logique lié aux échecs, qui impose au cavalier de parcourir toutes les cases de l'échiquier sans jamais passer par la même: c'est l'algorithme ou polygraphie du cavalier. Un mécanisme efficace qui permet de créer des histoires et des pages riches en détails.

Ce livre est construit comme un puzzle et l'énorme machine narrative assez diabolique, unit parfaitement tous les habitants de l'immeuble. Ce serait une oeuvre avec des éléments autobiographiques où percent les drames vécus par l'auteur. L'humour est omniprésent et cette multiplicité de personnages est essentielle pour le bon déroulement de la fiction. Il est Impossible de résumer une telle oeuvre dont la lecture vous laisse pantoise, esbaudie, ébahie, knock out…Il y a du génie, de l'originalité, de l'érudition, de la maniaquerie aussi.

Chacun des 99 chapitres commence par un descriptif minutieux de la pièce avec ses objets, puis il y a souvent une histoire à raconter autour de l'un des personnages. Il y a des histoires pour tous les goûts, certaines sont très savoureuses. C'est vrai que c'est un livre que l'on peut lire de différentes façons : soit par une lecture linéaire, soit en ne lisant que les chapitres dédiés à l'un des personnages, soit en lisant les chapitres qui concernent les communs de l'immeuble, non dénoués aussi d'histoires savoureuses. Dans ce roman, il y a en apparence pléthore de savoirs, mais très souvent c'est une création fictionnelle de Georges Perec.

Le livre est construit vraiment comme un puzzle où les histoires s'imbriquent aisément autour de l'occupation de l'immeuble. Il y a trois personnages importants dans le livre qui incarnent la création: 1) le riche et excentrique anglais Percival Bartlebooth, un esthète élève de Valène qui va consacrer sa fortune à la construction de puzzles. Pour cela, il va prendre des leçons d'aquarelle pendant 10 ans auprès de Valène; 2) Valène est le doyen de l'immeuble, professeur de peinture et 3) Gaspard Winckler un artisan accompli qui sera commandité par l'anglais dans la préparation des puzzles. Bartlebooth est plus que nul en aquarelle, mais au bout de 10 ans, il partira 20 ans en voyage à travers le monde afin de peindre des marines, accompagné de son factotum. Tous les 15 jours il va envoyer à Winckler, un artisan hors pair qui habite aussi à la même adresse, une aquarelle que celui-ci va coller sur un support puis la découper finement en 750 morceaux pour les déposer dans des boîtes spécialement commandées. Au bout de presque 500 aquarelles devenues puzzles, Bartlebooth décide de les détruire car son cycle « créatif » est la destruction de l'oeuvre sur les lieux mêmes où elle a été créée; il voulait que le projet tout entier se referme sur lui-même sans laisser de traces, il voulait que rien, absolument rien n'en subsiste, qu'il n'en sorte rien que le vide, la blancheur immaculée du rien, la perfection gratuite de l'inutile. L'aboutissement d'une vie réduit à zéro par son seul vouloir ! (vanitas vanitatum). Un personnage complexe que ce Percival Bartlebooth, inspiré du Bartleby de Herman Melville.

La vie de Percival Bartlebooth : 50 ans de vie pour RIEN, quel mode d'emploi !

Dans la myriade d'histoires du livre, il y en trois qui m'ont beaucoup plu: celle des Réol un jeune couple qui acheta une chambre à coucher; celle des Danglars, un magistrat et son épouse, fins cambrioleurs et celle du docteur Dinteville, qui comporte une histoire de plagiat médical plus vraie que nature et aussi une recette de cuisine (salade de coquillettes au crabe appelée Salade de crabe à la Dinteville, qu'il faudrait tester…).

Quel roman, inénarrable, racontable par bribes, foisonnant d'idées, unique, époustouflant. Mais je crois qu'il faut aborder la lecture en étant préparé, il faut avoir lu de quoi il retourne dans ces pages; ce n'est pas du tout une lecture au premier degré, mais bien (au moins) au deuxième degré. L'exercice n'est pas facile, mais il en vaut la peine.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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