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Critique de Lucile


En parcourant la liste des titres proposés et en voyant précisément celui-ci, je me suis d'abord dit "Tiens, un Perec, chouette!" (je n'avais encore jamais rien lu de ce célèbre personnage), et "Oh, en plus c'est un livre audio ; ça pourrait être l'occasion d'essayer", puis "Oulà, celui-là risque d'être fastidieux au possible...", et enfin "Ah, mais si c'est lu par Guillaume Gallienne, ça peut passer". Donc je l'ai demandé. Et reçu. Et ce fut exactement ce à quoi je m'attendais...

L'idée de départ est plutôt bonne : Perec s'amuse à envisager de manière extrêmement rigoureuse en apparence tous les cas de figures pouvant survenir lorsqu'un employé lambda souhaite demander une augmentation à son supérieur ("Appelons-le monsieur Xavier, ou, pour simplifier - car il faut toujours simplifier -, monsieur X"). Il déroule ainsi une sorte d'arbre décisionnel sur le principe de "s'il se passe ceci, faites cela ; mais s'il ne se passe pas ceci, faites plutôt telle chose". Mais pour que cela soit un minimum drôle, Perec a choisi des facteurs de choix assez improbables (le menu du repas du midi au snack de l'entreprise si on est un vendredi, par exemple ; et si on est effectivement un vendredi, le fait que le supérieur en question ait pu avaler une arête - mais seulement à condition qu'il ait pris du poisson, car s'il a pris des oeufs, la question des arêtes ne se pose pas (cependant, dans ce cas, il faudra envisager la possibilité que les oeufs que M. X a ingurgités aient été pourris, etc.)). Autres ressorts comiques : les réactions pour le moins étranges que propose Perec (qui suggère en tout premier lieu de faire les cent pas ou d'aller bavarder avec ses collègues si le chef de service n'est pas là) ou la méticulosité qu'il met à préciser des circonstances complètement anecdotiques quand il reste muet sur la bonne façon de demander une augmentation... Une bonne idée, donc. Sauf que ça ne marche pas. Pourquoi? Notamment parce que ces considérations loufoques sont toutes mises en jeu assez rapidement et que tout le reste de l'ouvrage se contente de décliner méticuleusement tous les cas de figures d'association de ces différents éléments, ce qui est passablement pénible et lassant.

Heureusement, il y a l'interprétation de Guillaume Gallienne, qui fait qu'on ne se perd pas dans ces phrases labyrinthiques et qu'on sourit (même à la toute fin) quand revient pour la énième fois l'une des nombreuses formules qui jalonnent le livre, par exemple "faire le tour des services qui constituent tout ou partie des bureaux de l'organisation qui vous emploie", "pour simplifier, car il faut toujours simplifier", "de deux choses l'une", etc. Mais franchement, combien de fois me suis-je dit : "Le pauvre! Qu'est-ce qu'il a dû s'embêter à lire ça!"...

Bon, allez, ne soyons pas trop méchants : il y a quand même des choses que j'ai bien aimées... Par exemple, la vision cynique au possible de Perec sur le monde de l'entreprise, son inertie, sa paperasse et ses protocoles. Petit à petit, d'un vocabulaire très objectif, voire administratif, on glisse vers des jugements de valeur et un franc désenchantement ("l'entreprise qui vous emploie" deviendra ainsi, entre autres, "l'entreprise qui vous exploite" puis "l'entreprise pour laquelle vous n'êtes qu'un vulgaire pion" - je cite de mémoire, évidemment). le projet de ce livre lui-même est d'ailleurs (évidemment) un pied-de-nez magistral à l'organisation sclérosée et enlisée dans ses procédures d'une administration ou d'une grosse entreprise avec x niveaux hiérarchiques : à la fin, on se retrouve avec un volumineux (du moins, je l'imagine comme tel) opus complètement inepte ne permettant en aucun cas de justifier sa pompeuse appellation... Cette vision d'une administration tentaculaire et anonyme proche de la maison qui rend fou n'a pas été sans me rappeler Belle du Seigneur et Adrien Deume, trop content de se couler dans ce moule et de chercher les mille et unes façons de ne rien faire de ses journées... Bon, il faut dire que j'ai déjà entendu Guillaume Gallienne lire un extrait du roman-pavé de Cohen qui traitait aussi de cet aspect, donc ça a sans doute facilité le rapprochement dans mon esprit...

Enfin, un petit mot pour vous rappeler, tout de même, que c'était ma première expérience de lecture "passive" (c'était mon premier livre audio, quoi!). Bilan? Je suis contente d'avoir essayé, et surtout d'avoir choisi ce livre-là pour le faire, car si j'avais dû le lire moi-même, j'aurais "diagonalisé" un tantinet, croyez-moi! (Et pourtant je déteste ça ; c'est pour ça que je suis contente que Guillaume Gallienne m'ait tout lu! ^_^ ) J'avoue avoir été un peu agacée par quelques difficultés techniques (pourtant prévisibles, mais que je n'avais pas anticipées ; on ne m'y reprendra plus!) : du fait que les fichiers soient en mp3, je ne pouvais écouter le CD que sur mon ordinateur. Après avoir essayé vainement de l'écouter dans nos deux voitures en espérant optimiser de longs trajets solitaires, puis sur notre chaîne Hi-Fi, j'ai dû me résigner à installer ma planche à repasser devant mon bureau pour avoir mon fond sonore... Evidemment, il est plus facile de "décrocher" quand on est passif par rapport à la lecture, et à 3 ou 4 occasions, j'ai dû revenir en arrière parce que je me suis rendu compte que je n'écoutais plus (mais c'était peut-être dû au texte en lui-même?). Bref, malgré tout, je me sens prête à réitérer l'expérience du livre audio, mais uniquement avec des livres dont je n'attends rien de spécial, car j'aime trop pouvoir lire à mon rythme, revenir trois ou quatre fois sur un paragraphe si ça me chante, et il me semble que dans ces cas-là, le format audio me frustrerait. Je me dirais forcément : "Il faut que je le relise moi-même, lentement", mais je me connais : je ne relis jamais un livre, ou presque (je n'ai déjà pas le temps de livre tout ce que je voudrais, alors relire...?!?), et je ne le ferais pas (et je n'aurais pas le sentiment d'avoir vraiment lu le livre). Donc, je crois que je tolérerai le livre audio uniquement dans le cas où la lecture du livre en question relèvera d'une vague curiosité. Voilà.

Pour conclure, donc, L'Art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation est à mon avis un ouvrage effectivement fastidieux et poussif malgré une bonne idée de départ ; la version livre audio est à mon sens le seul format acceptable pour prendre connaissance du contenu de cet ouvrage sans trop perdre son temps (pour ma part, j'ai fait du repassage en l'écoutant), et encore, il faut bien le talent de Guillaume Gallienne pour que ça passe bien, à mon avis... A vos risques et périls, donc, vous ne pourrez pas dire que vous n'étiez pas prévenus! ;-)

Mille mercis aux éditions Thélème et à Babelio pour m'avoir permis de découvrir Perec!
Lien : http://lameralire.blogspot.c..
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