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Critique de Biblioroz


Depuis que Civil Townsend est devenue infirmière, puis plus tard, médecin, deux prénoms sont à jamais gravés dans sa mémoire. Ils sont même cousus, depuis des années, à l'intérieur de toutes les blouses blanches qu'elle a revêtues pour sa profession. Erica, India. Pour ne pas oublier. Mais comment oublier ?
Nous sommes en 2016 et Civil va sur ses soixante-sept ans, elle vit à Memphis et s'apprête à retourner, enfin, dans sa ville natale mais elle doit d'abord tout dire à sa fille adoptive. Que renferme ce « tout » ? Un fardeau, une colère intériorisée, une injustice plus que révoltante, une abomination discriminatoire et une question lancinante — Quelle responsabilité avions-nous dans ce qui s'est passé ?
Sa longue confession vient également éclairer son choix d'avoir voulu rester célibataire ainsi que celui de ne pas avoir d'enfant biologique.

Montgomery, capitale de l'État d'Alabama, en 1973. Gonflée de l'importance que lui confère la certitude d'être un maillon essentiel à la mission décidée par L'État de réduire la misère, Civil, nouvellement embauchée en tant qu'infirmière dans une clinique du Planning familial de la ville, se sent investie d'un devoir. le devoir d'aider les jeunes femmes noires pauvres, de leur faire bénéficier de la liberté que peut offrir une contraception. La clinique est dirigée par une femme blanche mais les infirmières sont toutes des Afro-Américaines.
Civil se voit remettre un dossier pour une visite à domicile mais c'est en tremblant qu'elle quitte la cabane miteuse où vivent les deux filles à qui elle vient d'injecter un contraceptif. L'une d'elle, India, n'a que onze ans et n'est pas encore réglée !
Les doutes viennent envahir la jeune infirmière qui va bien vite comprendre que les bonnes intentions du gouvernement, de la clinique, d'elle-même, viennent fissurer, voire crevasser ces vies précaires, pauvres et non instruites. Bénéficiant des aides sociales, souvent analphabètes, ces familles se sentent redevables envers L'État et signent, confiantes, d'une croix, les formulaires qu'on leur présente.
Après quelques recherches, elle apprend que le contraceptif qu'on lui demande d'injecter n'a pas été approuvé par l'Agence de sécurité pharmaceutique. Elle décide de ne pas administrer la seconde injection car elle se demande si ce produit ne peut pas avoir des effets secondaires dramatiques.
Cette décision aura un effet désastreux et irréversible pour les fillettes et pour elle une culpabilité qui la hantera pour le reste de sa vie.

Partie d'un sujet précis, c'est toute une politique raciste, injuste, que l'auteure veut dénoncer. La valeur d'une vie dans la société américaine selon que l'on est riche ou pauvre, blanc ou noir n'est pas du tout la même. On pourrait croire que la guerre de sécession, la fin de l'esclavage puis la révision des droits civiques des noirs grâce à Martin Luther King ont sorti les États-Unis de l'ornière mais ce n'est pas le cas. le pouvoir en place s'arroge le droit de décider qu'une femme peut procréer ou pas.
L'auteure fournit dans ce roman quelques informations sur les actions militantes, la lutte pour les droits civiques des noirs. Mais la reconnaissance certaine, depuis les années 70, qu'un bout de chemin a été parcouru, notamment dans l'accès à l'éducation, ne peut faire oublier toutes les discriminations encore bien présentes.

Ce thème tragique et révoltant, inspiré d'un fait réel, méritait d'être exposé et dénoncé. Toutefois l'écriture de Dolen Perkins-Valdez manque cruellement de relief, entravant le passage de tous courants émotionnels. Cette tragédie aurait gagné davantage ma compassion avec plus de richesse dans l'écriture. Les faits, les actions, les dialogues font penser à une voile dans la pétole, désespérément plats. Je me suis efforcée à ressentir les liens, de plus en plus forts, que Civil tisse avec cette famille pour contrer l'extrême pauvreté qui les enferme mais ils sont restés coincés entre des mots trop fades. Surprenant, comme une trouée de soleil dans les nuages, à la moitié du roman, surgit une intervention de la grand-mère qui offre une réflexion profonde et un dialogue plus riche. Celle-ci, femme sensée mais victime de son illettrisme porte d'ailleurs sur leur situation un jugement très juste, que j'ai admiré.
Pour moi, le style est aussi important que l'histoire. L'équilibre entre les deux est indispensable. Peut-être que la traduction n'est pas étrangère à la pauvreté du style vu qu'ici, on y allume et éteint un robinet ! Certaines phrases, notamment en début d'ouvrage, laissent également perplexe.
Un autre point a également gêné ma lecture. Dolen Perkins-Valdez a jugé bon, probablement pour compléter le thème de la maternité contrariée, d'ajouter un épisode d'intervention volontaire de grossesse chez Civil. Celle-ci ressasse tout au long du livre le poids de cet acte, bien qu'elle ne le regrette pas, en utilisant peu ou prou les mêmes phrases.
Je remercie Babelio et les Éditions du Seuil pour ce roman dont, à mon humble avis, la forme dessert le fond.
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