C’est quand on vit ce que je suis en train de vivre qu’on sait que tout va bien, que rien n’est grave, que l’être humain a une faculté inouïe à se reconstruire, à cautériser, comme s’il avait plusieurs couches de peau les unes sur les autres. Des vies superposées.
P.327
C'est ma mère qui m'a appris à semer, arroser, récolter. J'ai senti que j'aimais ça. Elle me disait toujours : «Ne juge pas chaque jour à la récolte que tu fais, mais aux graines que tu sèmes.»
P.278
- Qu'allez-vous faire de votre désir d'enfant?
- L'oublier.
- Un désir ne s'oublie pas, surtout quand il est viscéral.
- Je vais vieillir, comme tout le monde, et ça passera.
- Et si ça ne passe pas? Ce n'est pas parce qu'on vieillit qu'on oublie.
P.206
En me couchant, je pense que je n'aimerais pas mourir au milieu de la lecture d'un roman que j'aime.
P.193
Dans le roman de la veille, elle avait lu qu'un fil relie ceux qui sont destinés à se rencontrer, que ce fil peut s'emmêler, mais jamais se briser.
P.192
Que perdre la liberté, c'était perdre un être cher. Que c'était comme un processus de deuil. Que personne ne pouvait comprendre s'il ne l'avait pas vécu.
P.189
Je déteste les fleurs artificielles. Une rose en plastique ou en synthétique, c'est comme une lampe de chevet qui voudrait imiter le soleil. A l'intérieur, des bois de cercueil sont exposés comme dans les magasins de bricolage où on peut choisir la couleur de son parquet. Il y a les bois précieux pour faire des cercueils d'exception. Puis ceux de qualité secondaire, les bois tendres, durs, exotiques, contre- plaqués. J'espère que l'amour que l'on porte à un vivant ne se mesure pas à la qualité du bois que l'on choisit.
P.165
Des mots qu'il semble avoir eu un mal de chien à sortir. Et il m'envoie des pages. Il est définitivement plus facile de déballer son sac devant un parfait inconnu que dans une réunion de famille.
P.132
La mort ne prend pas de temps de pause. Elle ne connait ni les grandes vacances, ni les jours fériés, ni les rendez-vous chez le dentiste. Les heures creuses, les périodes de grands départs, l'autoroute du Soleil, les trente-cinq heures, les congés payés, les fêtes de fin d'année, le bonheur, la jeunesse, l'insouciance, le beau temps, tout cela, elle s'en fiche. Elle est là partout, tout le temps. Personne n'y pense vraiment, sinon on devient fou. Elle est comme un chien qui slalomerait dans nos jambes dont on ne s'aperçoit de la présence que le jour ou l en permanence, mais nous mord. Ou, pire, où il mord un proche.
P.110 J'ai attendu que Philippe Toussaint parte à moto pour lire la quatrième de couverture du livré L'Oeuvre de Dieu, la part du Diable. J'étais obligée de lire à voix haute: pour comprendre le sens des mots, il fallait que je les entende. Comme si je me racontais une histoire. J'étais mon double: celle qui voulait apprendre et celle qui allait apprendre. Mon présent et mon futur penchés sur le même livre. Pourquoi va-t-on vers des livres comme on va vers des gens ? Pourquoi sommes-nous attirés par des couvertures comme nous le sommes par un regard, une voix qui nous paraît familière, déjà entendue, une voix qui nous détourne de notre chemin, nous fait lever les yeux, attire notre attention et va peut-être changer le cours de notre existence ?