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Critique de oblo


oblo
09 décembre 2020
Jeune berger, Jarri perd son troupeau entier. Décidé à demander des comptes aux responsables de cette tuerie, laquelle le met en danger directement, Jarri se rend dans la ville voisine où une révolte se trame. Il y prend part, ce qui le mènera à découvrir le secret d'un monde, faut-il le dire, légèrement différent du nôtre. Si, visuellement, le roman graphique de Vincent Perriot regorge de trouvailles et fait forte impression, le rythme de la narration souffre, elle, de déséquilibres importants. Toutefois, les thématiques soulevées par l'auteur sont intéressantes, depuis celle des rapports entre l'homme et la nature jusqu'à celle de la légitimité des pouvoirs.

Negalyod est d'abord un voyage visuel dans un autre monde. La planète entière semble être un désert où surgissent, ici et là, des villes dénommées stations. Au-dessus de ces villes en planent d'autres, inaccessibles pour le commun, et l'on comprend vite que la ville haute domine politiquement la ville basse. Ce qui fappe, c'est l'absence d'eau. L'or bleu n'est nulle part ou, plutôt, il est caché : l'eau de la planète circule uniquement dans un réseau de canalisations dont la ville haute est, là aussi, la gestionnaire. Enfin, ce monde que dessine Vincent Perriot est rempli de ... dinosaures, qui représentent les principales espèces animales en dehors des humains. Ces dinosaures peuvent être sauvages ou bien domestiques. Ainsi le troupeau de Jarri est composé de chasmosaures, et Jarri agit avec eux comme un vaquero ou un cow-boy agirait avec ses vaches. La différence, c'est que Jarri, s'il est bien un nomade, use de technologies très contemporaines, comme ces tablettes par lesquelles il essaie, en début d'album, de sympathiser avec des jeunes femmes. Véhicules volants et technologies météorologiques avancées complètent le tableau. Les tensions sont donc vives, visuellement, entre l'ancien et le moderne, entre l'urbain et le rural, entre l'économie nomade et l'hyper-connectivité de la ville haute. Vincent Perriot peuple enfin son album de trouvailles visuelles très intéressantes, et sa description de l'humanité fait la part belle à la diversité à travers la variété des costumes ethniques ou des architectures présentés. Enfin, le sens de la mise en scène procure un dynamisme visuel à l'oeuvre.

Toutefois, la trame narrative souffre d'un déséquilibre manifeste dans son rythme. Malgré l'épaisseur de l'ouvrage, on aurait aimé davantage de pages encore, ne serait-ce que pour approfondir certaines pistes ou pour ne pas voir certaines séquences être si courtes. L'arrivée de Jarri dans la station 3703, par exemple, interroge : à peine arrivé, le jeune berger devient l'un des piliers de la rébellion menée par le grand Kam. Autre exemple : le revirement presque incompréhensible de Jarri vis-à-vis de Korienzé, la fille du grand Kam, au moment de la poursuite du camion météo. A côté de certaines planches d'une grande beauté et qui recèlent, dans ce qu'elles ont de contemplatif, une certaine poésie, certaines phases d'actions arrivent dans le récit de façon très abrupte. Disons enfin que le scénario, intéressant, n'est pas non plus des plus innovants, et rappellera, d'une façon ou d'une autre, des oeuvres plus anciennes (Gunnm, L'Incal ...).

Il n'en reste pas moins que Vincent Perriot explore des thématiques intéressantes. La désolation du décor pose la question de l'anthropisation extrême de la nature. Les ressources naturelles, à commencer par l'eau - nous ne savons pas grand chose des autres ressources, qu'elles soient énergétiques ou alimentaires - sont exploitées et privatisées par un groupe humain privilégié, plus haut placé dans la hiérarchie sociale comme dans l'espace géographique : la ville haute, on l'a dit, domine la ville basse. Cette privatisation totale de la ressource en eau a transformé radicalement la planète, qui ne contient plus ni océans ni rivière. L'eau circule en des canalisations, et il est facile d'en interdire l'accès. En cela Negalyod pourrait se dire oeuvre d'anticipation, tant les problématiques de l'accès à l'eau représentent une thématique géopolitique majeure pour le 21ème siècle. le rapport de l'homme à la nature s'étudie aussi à travers le rapport aux autres espèces animales : invisibles les espèces les plus nombreuses aujourd'hui (insectes, poissons, amphibiens, l'essentiel des mammifères, oiseaux), domestiqué le cheval, domestiquées aussi certaines espèces de dinosaures dont certaines - comme Stygo pour Jarri - sont de véritables animaux de compagnie, sauvages encore les tyrannosaures ou les ptérodactyles. le dinosaure est aussi bien le mouton d'élevage que le boeuf sacrificiel, le vautour charognard ou le chien de berger. A ce titre, Jarri apparaît comme un personnage à part, car il est un homme qui comprend littéralement le langage des dinosaures et, partant, leur fait confiance et ne cherche pas à s'imposer à eux (lorsque les chasmosaures de son troupeau se battent ou lorsqu'il s'agit de trouver une issue de secours quand débarquent les brigades de sécurité de la ville haute). Cette attitude donne du crédit et offre des possibilités à Jarri : celle de se faire bien voir par les chefs de la révolte, ou celle d'être aidé et sauvé dans sa quête ultime.

Vincent Perriot interroge aussi la légitimité des pouvoirs. La lutte qui oppose la ville haute - par ailleurs très mystérieuse, tant dans ses composantes techniques que sociales, ou dans ses motivations politiques : c'est là une thématique narrative que l'on aurait aimé voir approfondie - à la ville basse est une lutte des classes. En bas sont les pauvres qui ne sont ni ne détiennent rien, en haut sont les riches qui ont le pouvoir politique, car ils ont la force militaire. Toutefois, la quête du grand Kam, de sa fille Korienzé et de Jarri montrera que la légitimité tient peut-être aussi en des raisons supérieures qu'à celle de la défense des intérêts privés. A moins que le secret de la tour réseau, dévoilé à la fin de l'album, n'interroge moins la légitimité des pouvoirs que le fondement de ceux-ci. Car le pouvoir, dans Negalyod, se définit par la possession par un groupe de ce qui est nécessaire à tous : les ressources naturelles, les moyens de se défendre, l'espoir ... L'espoir, justement, est ce qui fonde aussi le pouvoir du grand Kam dans la ville du bas. Au sein des villes - hautes et basses -, l'auteur montre justement que les groupes sociaux ne sont pas des blocs uniformes, mais sont eux aussi hiérarchisés. Dans la ville du bas, à côté des travailleurs et des anonymes agissent ainsi des forces dites militaires - représentées par le général Alice - et des pouvoirs religieux - dont le grand Kam est le chef. Et quelle capacité à générer de l'espoir, donc du pouvoir, détient la religion ! C'est l'espoir, enfin, qui nous anime de voir paraître un hypothétique tome 2, ne serait-ce que pour avoir l'occasion d'observer ce monde si vaste et si riche.
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