Citations sur L'amant du lac (18)
Elle le sentait libre, cet homme, ce métis, avec ses mots pleins de lui-même. Il était libre en dedans grâce à ces sons qui emplissaient sa bouche et qu’il déclamait avec ferveur, extraits de son carnet comme des signes secrets et impénétrables. Lui-même, malgré sa présence chaude, demeurait une énigme, enveloppé dans un mystère insondable. Parfois dans le lit, nu, il regardait les papiers en parlant à voix basse. Elle avait l’intuition que si elle avait su déchiffrer les transcriptions, la lumière se lèverait sur lui; elle prendrait ses mots couchés sur le papier, les glisserait entre ses dents d’abord, dans sa bouche ensuite, les tournerait sur sa langue, les avalerait avec sa salive. Ils la nourriraient de son essence à lui, la conforteraient de leur douceur, la remueraient de leur tendresse ; ils remonteraient de son sein et elle les lui redonnerait en baisers sauvages et fougueux. Parfois il sortait de son sac une petite bouteille d’eau noire et un bâton auquel il ajoutait une pointe. De l’encre de Chine. Puis il traçait des lignes à main levée, sans hésiter. Elle voulait savoir.
Un soupir, un dernier, sur ma défaite
Peu de temps m'aura été donné
Celui de dire, celui de trouver les routes
Qui mènent à soi, à l'autre là-bas
Que je ne connaîtrai pas...
Je ne suis qu'un souffle qui s'éteint
Des mots pour s'accrocher, pour accorder le hurlement du vent à sa vie, à l'espoir.
Je suis un homme aux mouvements liquides
Une rivière qui se couche en cherchant un nouveau lit, chaque nuit
Je cours vers le fleuve, là-haut, loin vers le nord
Derrière la ligne de partage des eaux...
Les amours comme des bois morts
me griffent le dos
Je dois poursuivre ma vie d'eau, car même si tu me bois
Que tu m'as bu
Je m'échapperai encore et encore...
Tu auras été mon phalène, mon papillon de feu
Brillant au milieu de mes crépuscules
Envoûtant de mystère et de liberté du geste
Toi la beauté, toi la fille de la forêt
À la toison rouge, à la peau couleur de terre
Porteuse à jamais de mon éblouissement
Enfoui en ton ventre doux et affamé de joie...
Il dormit peu, mais profondément. Sa nuit fut adoucie par l’image de l’Algonquine qui, dans son rêve, marchait sur le lac; une vision sereine. Ensuite une clameur au loin, celle des oiseaux annonçant l’aube à peine née; le chant d’abord confus, devint de plus en plus clair, car il approchait, porté par la lumière qui inondait le monde.
Couché sous les étoiles, j'entends
Une cascade qui coule du firmament
C'est la respiration des feuilles
Si je me couche sous toi
Oh lac, sous tes eaux
Ancré au fond de ton lit
Entendrais-je le halètement des feuillages ?
Ton souffle est-il d'eau ou d'étoiles ?
Tu la regardes droit dans les yeux... Tu la lis lentement, avec intérêt, car elle est unique... Ensuite, tu la respires.
Il s'imprégna de son image, sentit une eau invisible couler en lui, par une faille tectonique d'où s'échappait une douleur si imprévue qu'il cessa de respirer quelques secondes. Il devait partir maintenant. Une urgence. Il leva le bras haut dans les airs, la salua. Il enclencha le moteur, mit plein gaz et fonça sur le lac en direction de la rivière. Il eut l'horrible impression de fuir, de perdre quelque chose qu'il ne retrouverait jamais. Le sentiment d'être pleinement vivant.
Et l’Abitibi, pareille à son lac, belle et envoûtante. Le lac Abitibi demeure le personnage principal avec son droit de vie et de mort sur ceux qui s’aventurent sur ses eaux…
(Prologue, Mémoire d’encrier, p.10)
Les légendes naissent ainsi, dans le giron des histoires inventées pour raconter ce qui ne devrait pas exister. Des gestes dont même l'origine devrait être effacée.
Il écrivait sur la page blanche de l’inconnu, en songeant aux lendemains qui, pour l’instant, étaient des trous noirs. Ils étaient des nomades, elle et lui, des marcheurs de la terre, des pagayeurs de rivières, des pèlerins de cette force qui les tenait debout : la vie. La poésie, le dessin pour se souvenir de son corps, cette rondeur sur l’enfant qu’elle portait. Son visage tendu et si beau sous la chevelure abondante. Les nuits étaient froides et ses rêves chauds. Les étoiles scintillantes se pressaient contre la terre et semblaient écouter ses amours.