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Critique de mesrives


Un brasier s'est allumé sur les rives du lac Abitibi
Un brasier sans fumée aux odeurs répugnantes
Un brasier ardent où deux corps se sont déchirés,
affrontés
Un brasier s'est allumé sur les rives du lac Abitibi,
Un brasier sans fumée aux odeurs entêtantes
Un brasier ardent où deux corps se sont aimés,
désirés.

De retour d'une promenade printanière sur les berges du lac Abitibi, encore sous le charme et la magie du lieu, enivrée par les senteurs, les vibrations de la nature, je reviens.
Virginia Pésémapéo Bordeleau m'a pris par la main pour suivre l'amant du lac dans cette région boisée partagée entre le Québec et l'Ontario, en territoire algonquin, sous l'oeil complice du Grand Esprit et de Nanabozo changé en corbeau pour l'occasion...

Abitibi «eaux mitoyennes» à mi-chemin de la baie James et du Saint-Laurent, lieu de passage, lieu d'échanges, lieu de rencontres dont le repérage fut effectué par les Jésuites en 1640 avant l'installation des postes de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson (CBH). Mais, en ce début des années 1940, nous apercevons Gabriel le coureur des bois qui tente d'échapper à un agent de la police montée de l'Ontario sur un canot gorgé de trappes. La peur, l'approche de la mort, une traque désespérée sur les eaux déchaînées mais protectrices du lac Abitibi vont le déposer aux portes du bonheur par le biais d'une rencontre fortuite mais intime avec Wabougouni, une jeune femme métisse aux courbes sensuelles et girondes, semblables à celles des «pierres de fée», sculptures naturelles jonchant les rives du lac, gardiennes de son cheminement.

Une histoire passionnelle, des histoires d'amour, d'instinct qui donnent une version féminine et libre de l'acte sexuel, désiré ou non consentie, grâce aux voix de générations différentes, celle de l'aïeule, Zagkigan Ikwè ou Eclaircie, possédée autrefois par un missionnaire jésuite et celle de sa petite fille, Wabougouni, «déesse de la joie», beauté métisse dont la chevelure flamboyante témoigne de cette union forcée. Deux figures féminines solaires, deux portraits vibrant de sincérité. Gabriel, sang mêlé lui aussi, catapulté dans ce village, un campement sur la partie québecoise du lac, abandonné des hommes pour la saison des chasses, redécouvre la culture amérindienne et croque dans son carnet des esquisses de la vie quotidienne agrémentées de poèmes dédiés à son amante Wabougouni.

Il serait restrictif de dire que l'amant du lac n'est qu'un roman érotique même si il est le premier écrit par une native amérindienne. Métisse
crie ,Virginia Pésémapéo Bordeleau est écrivaine, peintre, poète et vit en Abitibi. Dans ce roman elle célèbre en effet la fusion, la plénitude des deux amants, de deux êtres en marge, l'attraction charnelle, la victoire de la vie, de la vitalité et de la lumière contre l'obscurité, les tabous et les contraintes morales. Pourtant au-delà de cette étiquette de genre, il est un puissant témoignage de la culture amérindienne avant l'acculturation, la sédentarisation des Premières Nations, la création des pensionnats de part l'évocation de l'histoire d'une région, à travers les voix de la communauté métisse, représentée par les protagonistes, Gabriel et Wabougouni et surtout celle de l'aïeule algonquine Zagkigan Ikwè, femme médecine, figure de résilience et de transmission.

Une parenthèse bercée par le fourmillement des sons animaliers, le mugissement du vent et l'écho aquatique du lac Abitibi que le lecteur ne pourra oublier: habité par le grand esprit, tour à tour berceau et cerceuil, purificateur et consolateur, son rôle dans le récit est aussi important que celui qu'il tient dans l'imaginaire spirituel des algonquins, ses exhalations et soupirs en sont palpables.

Un temps poétique où le lecteur se laisse dériver parce que , entre autre, « Les légendes naissent ainsi, dans le giron des histoires inventées pour raconter ce qui ne devrait pas exister. Des gestes dont même l'origine devrait être effacée.» 

Une belle découverte. Un roman choral, dense, engagé, intense, servi par une écriture poétique, sensuelle. Un souffle libérateur.
Une nature sublimée. La possibilité d'appréhender l'histoire de la communauté métisse du Québec.
Une lecture qui a réveillé ma curiosité me donnant l'envie d'approfondir la littérature amérindienne et aussi d'explorer ce magnifique territoire et son histoire avec un autre roman Harricana, le royaume du nord de Bernard Clavel

Paru aux Editions Mémoire d'encrier, L'amant du lac est un retour aux sources sur les rives d'Abitibi. Merci à Virginia Pésémapéo Bordeleau:

« Je suis le pont entre deux peuples
qu'un accident de parcours
a tendu au-dessus d'un précipice.

Je suis riche de différences
marquée au feu du paradoxe.
Je suis de blanche et de rouge lignée. »

Extrait de rouge et de blanc - 2012

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