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Critique de Tricape


Il est peu probable que de nombreux lecteurs lisent ce livre d'une traite. Ce n'est ni un roman, ni un récit, ni un essai. Ce sont des notes, souvent d'une ou deux pages, qui constituent le journal intime des six dernières années d'un aide-comptable apparemment "ordinaire" qui explore en permanence son être, ses rêves et le monde qui l'entoure. À consommer à petites doses.

D'entrée de jeu, le poète nous emporte : "Nous sommes deux abîmes glissant vers l'abîme — un puits contemplant le Ciel". Il avoue l'angoisse que la "nostalgie de cet autre qu'il aurait pu être" lui inspire et se regarde jouant un rôle qui lui a été assigné : "Jusqu'au plus intime de ce que j'ai pensé, je n'ai pas été moi" (*). Il se sent "cloîtré dans une cellule sans limites" et de laquelle il ne peut fuir, précisément parce qu'elle est un tout. Métaphysique et poésie sont ici mêlées.

de très nombreux passages, si j'étais prof de philo, m'auraient inspiré pour proposer des sujets de dissertation. Ainsi : "Je lis, et me voici libre. J'acquiers l'objectivité. Je cesse d'être moi, cet être dispersé". Commentez ! Plus loin, Pessoa nous parle d'une sorte de prénévrose (sic), de ce qu'il sera lorsqu'il ne sera plus : "Et le froid de ce que je ne sentirai pas étreint mon coeur d'à présent."

La poésie est partout présente dans ce livre majeur. Contemplant les maisons en cascade sur les collines de Lisbonne, il les apostrophe : "vous n'êtes aujourd'hui, vous n'êtes moi que parce que je vous vois, vous êtes ce que vous ne serez plus demain, et je vous aime, voyageur penché sur le bastingage, comme un navire en mer croise un autre navire, laissant sur son passage des regrets inconnus." Il y a du Valéry dans cet homme-là : "Je suis un nomade de la conscience de soi", et encore : "J'ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d'une matière étrangère à mon être".

Cette lecture, vous le comprenez, demande un effort et, du moins pour moi, nécessite des périodes de repos. Aux deux-cinquièmes de cette aventureuse traversée, je fais une escale. Je reprendrai dans les semaines à venir la haute mer de l'intranquillité avec Pessoa comme skipper et viendrai compléter mes premières impressions.

(*) Comme un plagiat par anticipation de "Qui suis-je quand je ne suis pas moi ?"
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