Personne ne peut me dire quel sera le plus beau jour de ma vie. Je ne veux pas savoir. À quoi ça sert, sinon, le reste du temps, tout le reste de la vie.
Je n’avais jamais le temps. Toujours des choses à faire. Jamais envie de rigoler. Une exaspération à couper au couteau. Je voulais toujours être un peu tranquille. Comme si vous étiez de trop. Comme si je n’avais pas désiré chacun d’entre vous. Encore un week-end de nous en moins. Ces week-ends, personne ne nous les rendra, je le sais bien. Les week-ends ont un goût d’impuissance.
Je suis sur des rails et je ne dirige plus rien. Depuis des mois, depuis des années, depuis que je ne sais plus les compter, je ne ressens plus ces grands pics de jubilation ou de détresse qui faisaient la succession de mes états intérieurs.
Je veux vous laisser une trace de nous et vous donner ma version de l’histoire. Vous dire la rage face au temps qui passe et qui m’effacera du cours de votre vie, du flot de vos souvenirs. Face au temps qui me retire tout, petit à petit, sans pause, sans empathie.
Je vous écris du fond de l’angoisse et de la peine, au bord de la joie et de la légèreté. Je vous écris ce que je n’ai pas le temps de vous dire dans ce quotidien qui ne me laisse pas en placer une. Dans ce quotidien qui épuise mes mots, qui lessive ma parole. Ces quotidiens qui s’empilent et forment une couche opaque entre le fantasme exalté de la maternité et la réalité impatiente des jours.
Je vous écris pour faire reculer la possibilité de la mort, je vous écris pour devenir immortelle. J'écris pour vous parler toujours, pour maintenir le flot, pour continuer à vous protéger.
Le temps est devenu un personnage de ma vie. Il s'est mis entre elle et moi, entre vous et moi parfois. Le temps est devenu un allié et un ennemi. Ça dépend des moments, ça dépend de la compagnie ou de l'épaisseur de la nuit. Le temps existe pour moi, s'est mis à exister. Il s'impose. Pour vous, il n'existe pas, il n'est qu'un obstacle gênant avant vos vacances, votre anniversaire. Il n'est pas une menace, qui n'est pas en péril.
Je suis cette femme là, cette mère-là, indécente, immature, indisciplinée. Je vous écris mes actes de résistance. Ce n'est pas à vous que je résiste. Je vous écris pour vous laisser entièrement libres. Vous ferez ce que vous voudrez de vos regards, de vos haussements d'épaules, de votre filiation. Libre d'embrasser l'amour que j'ai pour vous ou de le détester.
Les rôles sociaux sont devenus trop petits, trop fragiles, pour que j’y trouve refuge. Je préfère regarder les fêlures, la lumière qui passe au travers.