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Critique de Kirzy


J'avais quitté Stanislas Petrosky avec le réjouissant prêtre déjanté, Requiem, et une écriture truculente à la Frédéric Dard.
Changement d'écriture, de style, de braquet. Fini de rire avec ce roman «  devoir de mémoire » dont on sent à quel point il tient à coeur à l'auteur.

Ce dernier s'est plongé dans l'histoire du camp nazi de Ravensbrück, 80 km au Nord de Berlin, fonctionnant de 1939 à 1945, un camp de concentration réservé aux femmes : 132.000 déportées ( dont les Françaises résistances du Panthéon, Geneviève Anthonioz - De Gaulle et l'ethnologue Germaine Tillion, entre autres ) surtout Polonaises, 90.000 y meurent.

L'ultra documentation est judicieusement utilisée, sans lourdeur ou sans effet plaqué. Cela permet à l'auteur d'apporter de la profondeur contextuelle à son propos en décrivant toute l'horreur du camp : les sévices ordinaires, les expériences médicales sur l'efficacité des sulfamides dans le traitement des blessures de guerre, les mutilations qui en découlent, le camp d'enfants, les fours crématoires, la chambre à gaz à partir d'automne 1944. Les personnages «  secondaires » du roman ont tous existé : l'intendant du centre industriel Gustav Binder, la gardienne sadique Maria Mandl ou l'effrayant médecin Karl Gebhardt.

Rien n'est édulcoré dans ce roman, ni dans l'écriture qui donne à voir, à sentir, à trembler, à vomir, ni dans le choix des anecdotes, terribles. Au contraire, Stanislas Petrosky y va à fond en faisant le choix d'un personnage qui lui permet d'explorer le mal en face, sans oeillère, les yeux dans les yeux : son narrateur, Gunther, jeune Allemand enrôlé de force par son père comme travailleur pour l'armée allemande. Même s'il ne partage pas les idées nazies, il se retrouve contraint à construire le camp puis à traverser son histoire en tant qu'illustrateur «  officiel » une fois que ses talents de dessinateurs sont repérés par les administrateurs du camp. 

Il est L Oeil, celui à qui les SS demandent un dessin « souvenir » ou «  trophée » de leur crime dans un orgueil de bourreau délirant. Celui qui est subi, qui est lâche, celui qui se pose des questions en permanence : pourquoi tombe-t-il amoureux dans ce lieu maudit ? Est-il en train de s'habituer à cet enfer ? Perd-il tout sens moral se laissant contaminer par le système concentrationnaire ? Ce personnage est d'autant plus passionnant qu'il entreprend le projet d'être le témoin de toute cette barbarie lorsque la guerre sera finie.

«  Je pris conscience qu'ici, je dessinerais beaucoup plus de cadavres que de femmes vivantes. J'étais hanté par l'idée que ces femmes qui mouraient par centaines dans l'anonymat avaient eu une vie, une famille, des amis qui les avaient aimées. C'était comme si elles s'évanouissaient dans la nature. Plus aucune trace d'elles sue terre. Je décidai de rendre mes dessins les plus réalistes possible, autant pour garder un souvenir de ces personnes qui tombaient dans l'oubli, que dans le but de mettre mal à l'aise ceux qui seraient appelés à regarder ces visages et ces corps torturés. A partir de ce moment, j'ajoutai de la couleur à mes croquis, afin de les rendre plus vrais encore, j'avais l'impression de leur donner de la vie. (...) je voulais que l'on soit aussitôt frappé en regardant mes dessins, que l'horreur des scènes saute aux yeux, alors je ne donnai couleurs qu'au sang, à la maladie, aux coups et à la pourriture. »

De nombreuses scènes sont terrifiantes et insoutenables, il y en a beaucoup, ça secouent. Je me suis posée la question de la nécessité d'en mettre autant, sans avoir de réponse immédiate. C'est rare un tel réalisme, même sur un sujet aussi difficile ( et j'ai lu énormément sur la Shoah ). J'ai donc décidé sagement de laisser reposer cette lecture et un mois après, je me dis que l'auteur est parvenu à trouver un équilibre de funambule, toujours sur le fil du pathos et du gore mais sans s'y goberger, avec sincérité. Au final, les images de ce roman resteront imprimées en moi. Devoir de mémoire.

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