je transpire, je tremble, et ma main glisse trois fois sur le contact. A chaque échec, je m'attends à ce qu'un autre hurlement torturé mais étouffé me parvienne dans la voiture ; mais, enfin, de l'air frais jaillit par les aérateurs, et les accords obsédants d'un jazz des années vingt fusent à plein volume dans les enceintes. La musique préférée de Daniel. Il écoutait ça en m'attendant. Je baisse presque complètement le volume, passe la marche arrière et appuie sur l'accélérateur.
"Elle m'a dit que tu m'avais traité d'animal. Je trouve ça offensant."
Je regarde le lit qui ploie sous le poids de litres de sang.
"Les animaux ne sont pas capables de s'adapter mentalement, Kristine, continue-t-il comme s'il savait ce que je suis en train de penser. Ce sont des êtres d'habitudes et d'instincts. Ils ne se préoccupent que de survivre, et pas d'évoluer. La plupart n'existent que pour satisfaire les envies prédatrices de créatures plus puissantes et plus nobles."
- Comme vous, vous voulez dire."
Cela le fait rire.
"Avoue. Je suis un prédateur sacrément flexible."
Le besoin d'entendre la voix d'Abby est comme un bout de métal dans ma gorge, une douleur vive et persistante. C'est comme un picotement dans mes paumes, la démangeaison de scarabées sous ma peau. J'ai une sensation de creux, de vide dans l'utérus, bien que cela fasse dix longues années que mon bébé l'a quitté. Avoir un enfant, c'est comme doter son cœur d'une paire de jambes, et le laisser se promener hors de son corps, palpitant, vulnérable, à vif.
On ne peut pas vraiment dire que ce soit un bâtiment inquiétant ; pas vu de l'autoroute . Dans la gamme aire de repos , il pourrait même être qualifié d'accueillant . Large et trapu , il est accroupi comme un sumo, [...]
Tu ne sais pas qui tu es tant qu'on ne t'a pas poussé à bout
Au lieu de lutter contre la situation, je me laisse la ressentir: une fureur si primitive qu'elle consume tout. Je peux vivre dans cet espace blanc d'où la douleur est absente. Je peux haïr le monde avec une exhaustivité qui pulvérise la raison, et je sais que je serai en sécurité. J'y ai déjà vécu.
Personne n'existe en vase clos. Tout le monde a au moins un lien vital avec la planète, que ce soit par le sang ou par l'amour.
Si survivre est la preuve qu'on est en vie, alors je ne l'ai jamais autant été.
J'étais amoureuse de cet homme. C'est cet homme-là que j'aimais. L'homme gentil aux mains adroites de guérisseur - était comme la brume de chaleur sur cette route perdue. Une illusion créée par les conditions idéales. Un rêve miroitant qui ne semblait tangible que de loin. Qui n'avait rien de réel.
Une femme sait quand elle est traquée, après tout… surtout si elle l’a déjà été.