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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2019 #9 °°°

Presqu'île de Kamtchatka, aux confins de l'Extrême-Orient russe.

Le roman s'ouvre sur l'enlèvement de deux soeurs, onze et huit ans, un jour d'été, au bord d'une baie. Début classique pour un polar ou un thriller où le lecteur suivrait classiquement enquêteur, victime et criminel ... sauf que Julia Phillips est partie dans une toute autre direction. Ce n'est pas l'enquête ni sa résolution ( même s'il y en a une ) qui l'intéressent. Non, ce qui l'anime, c'est de parler des femmes du Kamchatka, de leur condition au sein d'une société en plein bouleversement : de l'isolement total durant la guerre froide, jusqu'à la lente ouverture actuelle qui enflamme et aggrave les tensions et les peurs endormies. L'auteure a vécu plus d'une année au Kamchatka, et on sent à travers ses mots la parfaite connaissance qu'elle en a .

La temporalité du roman court sur une année, chaque chapitre sur un mois, un mois pour mettre en scène un personnage féminin différent, touché directement ou très indirectement par la disparition des fillettes, comme un bruit de fond. Julia Phillips rend compte avec finesse et sensibilité du poids du patriarcat, du sexisme ordinaire, des relations familiales et amoureuses qui pèsent sur l'émancipation féminine, du racisme à l'égard des populations indigènes évènes ( peuple nomade de Sibérie vivant d'élevage des rennes et de chasse, la problématique est très proche du vécu douloureux des Amérindiens en Amérique du Nord ).

Chaque chapitre chante d'une voix claire et subtile les tragédies mineures ou majeures de la femme qui est en son coeur, comme un singulier huis clos au coeur du décor grandiose du Kamchatka. Celle qui m'a le plus touchée est Ksyusha, fille d'un éleveur évène, étudiante réservée et sérieuse, sous la coupe d'un petit ami blanc, elle se révèle à elle-même en tombant amoureuse d'un jeune autochtone comme elle, plus doux. Cette dizaine de portraits féminins - jeunes filles, mères, épouses, blanches, autochtones – finissent par résonner les uns avec les autres comme une ronde sororale , jusqu'à ne plus former qu'un seule femme, inscrite dans la société russe du Kamchatka. Au final la femme dans toute son universalité.

Et c'est là toute la prouesse narrative de Julia Phillips que de nous plonger dans les expériences émotionnelles de ces femmes entre douleurs et espoirs tout en faisant converger les indices parcimonieusement disséminés dans chaque chapitre jusqu'à une résolution. Lorsqu'elle arrive, franche et claire, dans les deux derniers chapitres, j'en ai été presque déconcertée tellement j'ai été hypnotisée par ces voix féminines.

Un premier roman puissant, sous tension douce, nimbé de mystères, peuplé de femmes inoubliables, déployé dans le décor inédit du Kamtchatka. La comparaison avec Laura Kasischke ( une de mes auteures préférées ), proposée aux Etats-Unis, me semble totalement justifiée.
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