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Critique de Pol-Art-Noir


Nec revient à Paris après deux années d'absence. Il revient pour tuer un homme qu'il a raté par deux fois deux ans plus tôt : un attaché de l'ambassade d'Afrique du Sud qu'il tient pour responsable de l'assassinat de Dulcie September, militante anti-apartheid, tuée de deux balles dans la tête en mars 1988 à Paris.
Refusant que ce crime reste impuni, Nec a un plan. Non seulement il va tuer Breyton van Moeurs, mais il lui fera subir le supplice du collier — un pneu enflammé autour du cou ; celui réservé aux noirs "collabos" — et prendra des clichés de son forfait qu'il compte bien diffuser ensuite à la presse, aidé par son ami Scoop, pigiste à Libération.
Cette mise en scène lui a été révélé lors de son exil, de passage en Italie où il a pu contempler une fresque de Paolo Ucello, le Déluge et le Retrait des Eaux. Ce fut une révélation, et c'est elle qui guide ses pas.

[Voir l'image en plus grand] L'univers mis en scène par Daniel Picouly est assez particulier. D'abord il y a le personnage de Nec, sa noirceur intérieure, son désespoir palpable, cette forme de désillusion qui l'accompagne. Ensuite il y a tout le petit monde qui gravite autour de lui, et là c'est une explosion de vie ! Son copain Scoop, le roi de la formule ; son amie d'enfance, Menga : Hondo, ce garçon de dix ans qui éclaire tout le monde de ses sourires ; la SAPE, Société des Ambianceurs et personnes Élégantes, des dingues de fringues ; et j'en passe… Tout un foisonnement exubérant, un furieux mélange de genres, des gens, des vies, des misères sociales et des énergies. Impressionnant ! Et tous ceux-là s'agitent dans un périmètre réduit qu'on appelle à Paris le XIXème…

Reste qu'il y a eu mort d'homme… et à l'ambassade d'Afrique du Sud, en ces périodes de réconciliation nationale, on voudrait bien étouffer l'affaire. Alors côté police française, aux ordres, on confie le dossier au commissaire Lomron, celui qui ne trouve pas, le spécialiste des affaires spongieuses.
« À la première parole il avait étiqueté le commissaire : tâcheron borné et résigné, le modèle presse-papiers de commissariat d'arrondissement qu'on envoie sur le terrain pour désengorger les archives. Bizarre, ce badge qu'il portait au revers de son veston.
— Je vais vous résumer la situation. Voilà, on a un cadavre sur les bras, et pas n'importe quel cadavre. Vous comprenez ?
Lomron hocha la tête, ce qu'on prenait en général pour un signe d'acquiescement… En fait, ce n'était qu'une petite gymnastique préventive quotidienne, pour endiguer un début d'arthrose cervicale. le médecin lui avait dit : Vous hochez-déhochez, ça vous évitera d'avoir un jour le port de tête d'Eric von Stroheim et ça donne l'air attentif. Les gens aiment ça. »

Entre temps, Scoop, à qui Nec a confié sa pellicule (celle des photos du meurtre de van Moeurs), aura quelques problèmes avec un rasta dealer qu'on appelle M. Météo — celui qui fait tomber la neige — ; un mercenaire sud-af' partira en chasse après les photos pour qu'elles ne soient pas publiées ; Nec tombera amoureux de Bea qui doit son surnom au Bifidus des yaourts dont elle se nourrit :
« Je l'ai trouvée il y a une semaine éparpillée sur le palier du troisième : un type un peu fêlé. On est déjà au quatrième : il lui reste plus qu'un étage et les chambres de bonnes. Après, elle sera obligée de faire l'autre escalier. C'est une nomade de pieux cette fille, une Touaregue de la chose… »
et tous arpenteront le nord-est de Paris en long, en large et en travers dans une époustouflante course-poursuite infernale.

Daniel Picouly est de ceux qui conçoivent leur roman avant tout comme un conte, une histoire à raconter, et celle-ci un véhicule pour propulser le lecteur dans un ailleurs reconstitué, magnifique. On ne peut pas résumer Nec, il faudrait tout garder de ce foisonnement, ne rien oublier, et c'est impossible.
Picouly a l'imagination luxuriante qui déborde de sa plume et une réserve insoupçonnée de tendresse pour ses personnages. C'est à une poésie dramatique qu'il nous convie, à une histoire d'amour sombre et fatale, à un voyage immobile dans ce XIXème arrondissement de Paris qu'il sublime à sa manière comme le fit Daniel Pennac en son temps avec le quartier de Belleville.
Lien : https://polartnoir.fr/livre...
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