J’étais l’élément dramatique de la famille, le pousse-au-crime d’un foyer respectable.
J’ai été un enfant élevé au milieu des adultes, souvent réduit au regard et au silence, parce qu’au nom d’une bonne éducation, les petits écoutent quand les grands parlent. J’intervenais peu, sinon pour faire des bêtises, mettre mon père hors de lui, pour provoquer des accrocs dans le tissu de la détente.
Maman n’a pas d’instruction mais elle décode le jeu social comme personne. Il faut savoir où il en manque, disait-elle souvent, dans une formule aussi magique que mystérieuse.
Le laisser-aller, c’est bon pour les riches que leur argent dispense du souci de paraître. Mais quand on n’a pas grand-chose, tout change. On se doit à son image parce que l’image est justement tout ce qu’on a.
Un enfant qui grandit, c’est un parent qui recule.
Le fil des ans les avait tissé l’un dans l’autre. Il était l’ongle qui lui rentre dans la chair. Elle était une partie de lui, qu’il avait souvent traitée durement, comme il se traitait durement, comme il traitait durement tout le monde. Il ne lui a pas survécu deux ans.
Filer droit là où ça coince ? C’était une bonne stratégie. Je l’ai souvent appliquée. Le phantasme de la difficulté est la pire des castrations, et comme le disait le président Mao Tse Toung, le plus long chemin commence toujours par le premier pas.
On regarde les pavillons et les gens qui s’y promènent : ça ne coûte pas cher et observer ses semblables est toujours instructif.
La vie ne me semblait alors qu’une bataille perdue à laquelle on ne peut cependant pas se résigner.
Selon toute logique, ce fils instruit épouserait une fille qui elle aussi a fait des études. La créature l’entrainerait davantage encore dans un monde de goûts et d’habitudes où la mère n’a pas sa place. Le fils, cette part de la mère, deviendrait la part d’un autre univers, et elle resterait couchée sur le flanc comme une vieille bête qui a tout donné et ne reçoit plus rien.