Le temps de te dire adieu

Tu compartimentais. Tu avais des amis disséminés dans plusieurs sphères. Tu cloisonnais comme un maçon de la chapelle Sixtine. Pour que les parois restent étanches pendant des siècles. Je ne sais pas ce que tu craignais. Il existait une constellation autour de toi. Tu étais au centre, les autres gravitaient autour de ton soleil. Moi y compris.
En dépit ou à cause de cette force d'attraction, subsiste cette impression bizarre de ne pas t'avoir connu réellement. Qu'il y a toujours eu une autre part de toi, une face détournée, un hors-champ. Que ton esprit a toujours été masqué par une éclipse. Que tu restes à jamais figé dans l'irréel. [p.55 - 56]

Il y a toutes les scènes de notre vie que je défile, tous ces "clichés", et qui mieux qu'un acteur, passionné de photographie, habitué des chambres noires, peut comprendre le sens profond de ce mot, ses nuances ? [p.23]

En un misérable jour, nous sommes passés de tout à rien. La frontière est nette comme la mort. L'avant et l'après. La frontière infranchissable désormais entre ce qui a été et ce qui ne sera plus.

Il existait une constellation autour de toi. Tu étais au centre, les autres gravitaient autour de ton soleil. Moi y compris

Les réseaux sociaux sont un poison. Toi qui t'en es toujours préservé, tu aurais détesté être témoin de ces dérives. Que des cinglés m'insultent ou que des gens plus ou moins bien intentionnés exhibent des photos de notre fils lors de tes funérailles. Malheureusement, il faut vivre avec son temps, et mourir avec son époque

Peut-être est-ce décuplé dans le milieu du cinéma ? L'incapacité des uns et des autres à être autre chose que des acteurs, partout, tout le temps, vouloir le premier rôle, ne pas savoir quand il est temps de s'éclipser ?

Quand le malheur nous prend pour cible, il faut parvenir à se souvenir qu’on a goûté à la douce, à l’ineffable joie. Tu resteras mon plus beau voyage, abordé sans guide, les yeux fermés. Ta présence et ton absence convergent dans mon cœur. Je sais désormais que je pourrai toujours te trouver en moi. Ceci est à nous.

Chaque dimanche, je souffrais de cette injustice. Mon père, créateur de ma chair, architecte de mes terreurs.

Nous ne connaîtrons jamais l'identité des receveurs comme ils ignoreront toujours que tu étais le donneur. mais nous savons que les six greffes pratiquées ont été couronnées de succès. Six personnes sont en vie aujourd'hui, grâce à toi.

Je ne dis pas que leur tristesse est feinte, mais tous ces comportements mis bout à bout donnent l'impression d'une grande ronde de vanités et de mensonges. De fausseté.