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Critique de MarianneL


Dans une période trouble de l'histoire argentine, de paranoïa politique, de répression et de violence extrême, ici en filigrane, Ricardo Piglia fait la chronique d'un casse, un braquage sanglant de transporteurs de fonds qui eut lieu à Buenos Aires en 1965.

Après la rencontre fortuite avec l'une des protagonistes de ce fait divers en 1966, Ricardo Piglia en fut durablement marqué et commença alors à écrire. Mais la gestation fut très longue et il ne publia "Argent brûlé" en Argentine qu'en 1997.
On imagine que ce qui a occupé Ricardo Piglia pendant un certain temps est la forme à donner à ce récit. Cette forme accroche mais aussi déconcerte car, tout en suivant la chronologie des faits jusqu'à la scène finale, l'auteur multiplie les points de vue (un des casseurs, le receveur des fonds, un médecin psychiatre, un journaliste…) et les temps dans un jeu narratif complexe, où l'on se demande souvent qui parle et à quel moment.

Et c'est tout l'intérêt de cet objet littéraire dans lequel on pénètre comme dans un prisme aux multiples facettes, avec une narration objective et des descriptions froides des faits, des lieux et de la chronologie, d'où les personnages (la bande de casseurs et le commissaire Silva en charge de l'enquête), pris dans l'engrenage d'une violence absolue, ont l'air de surgir dans toute leur complexité, leur démence psychotique, leur dimension héroïque.

«En taule, racontait-il parfois, j'ai appris ce qu'est la vie : t'es dedans, on te brutalise, t'apprends à mentir, à ravaler ta haine. En prison je suis devenu pédé, drogué, voleur, péroniste, joueur, j'ai appris tous les coups tordus, à casser d'un coup de boule le nez de types qui te font la peau si tu les regardes de travers, j'ai appris à porter un surin caché entre les couilles, à me fourrer les sachets de came dans le trou du cul, j'ai lu tous les livres d'histoire de la bibliothèque, parce que j'avais rien à faire, on peut me demander qui a gagné n'importe quelle bataille, l'année qu'on veut et je le dis, parce qu'en prison t'as rien à foutre alors tu lis, tu regardes dans le vide, le bruit que font les pauvres mecs enfermés là te soûle, tu deviens venimeux, tu te remplis de poison comme si t'en respirais, t'entends des branques raconter sans arrêt les mêmes conneries, tu crois qu'on est jeudi alors qu'en réalité on est à peine lundi soir.»

Les malfaiteurs tous complètement fous, et en particulier Brignonne alias Bébé et son inséparable «jumeau» Dorda dit le Gaucho, Malito le cerveau de l'affaire, et Mereles le corbeau, traqués par des policiers obsédés par la résistance péroniste, reflets d'une société rongée par la violence, nous emmènent vers une lutte sans reddition possible, dans un fait divers tragique qui prend la dimension d'un mythe sous la plume de Ricardo Piglia.

«Ils parlaient comme ça, leur manière de parler était plus ignoble et plus impitoyable que celle de ces flics rompus dans l'invention d'insultes destinées à humilier les prisonniers jusqu'à en faire des poupées de chiffon. du gros calibre, de vrais gangsters, que la torture faisait plier, qui finissaient par se rendre, après avoir entendu Silva les insulter et leur donner de l'électricité pendant des heures, pour les faire parler. Les vestiges des mots morts dont les femmes et les hommes se servent au lit, dans les boutiques et aux toilettes, car la police et les bandits (pensait Renzi) sont les seuls qui sachent faire des mots des objets vivants, qui sachent en faire des aiguilles qu'on plante dans ta chair pour te détruire l'âme comme un oeuf cassé sur le rebord de la poêle.»
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