- Et dis-moi, beau-frère, pourquoi ne pas prélever les poissons directement dans les bassines sans les faire passer par le fleuve ?
Ce qu'il vous manque, c'est un leader charismatique et belliqueux capable de mettre tout le monde d'accord.
- Tu as vu que Nicolas Hulot est au gouvernement ?
- C'est celui qui veut terraformer Mars ?
- De quoi tu parles ?
- Je sais pas, y en a un qui veut aller habiter sur Mars.
- Ah mais non, ça c'est Cheminade.
- Et il est pas au gouvernement lui ?
- Non, Dieu merci.
- Y a encore que des types pas drôles ?
Mes recherches m'ont en effet permis de découvrir que la vaste majorité des poissons capturés ont été élevés en bassine et relâchés dans le fleuve par les habitants de Bois-le-Roi eux-mêmes. Ces derniers ne peuvent donc ignorer que ces poissons appartiennent nettement plus à la sphère de la "culture" qu'à ce qu'ils appellent la "nature".
(Discussion entre 2 mésanges)
- Tu vas aller voter aux présidentielles ?
- Ha ha ha
- Et si on se retrouve avec un président super anti-écolo ?
- On lui pète la gueule.
- Pourquoi y'a une locomotive de TER dans le jardin ?
- On sait pas, les pinsons ont mis de l'alcool à brûler dans les mojitos, plus personne se rappelle de la soirée.
- Tu as vu que Trump a été élu ?
- Je m'en branle. (p. 3)
D'après Bruno Latour, une part au moins des "élites mondiales" a pris très au sérieux les conclusions du Club de Rome et des scientifiques en général sur l'état de la planète dès les années 1980 (époque où la plupart des gens se moquaient des études de ce genre). Latour montre que l'explosion des inégalités qui a commencé à cette période , en conséquence de la dérégulation sauvage des marchés et des attaques contre l'Etat providence partout où il existait, apparaît plus compréhensible sous cet angle : convaincue qu'il n'y avait pas de place pour tout le monde sur Terre, cette élite a fait le choix de se débarrasser de tous les fardeaux de la solidarité et de se préparer une forteresse dorée en faisant sécession du reste de l'humanité, séparée d'elle par le fossé rassurant des inégalités. L'invention et la promotion de la thèse climato-sceptique, à peu près à la même période, par des gens qui n'y croyaient nullement, permettait de dissimuler cette fuite hors du monde en participant à entretenir l'utopie d'une mondialisation bénéfique à tous. La catégorie de "l'élite" est bien sûr très floue, tout comme les catégories qui lui sont associés: les dirigeants, les décideurs, les super-riches, etc. Mais l'important pour l'argument est qu'existe le sentiment d'appartenir à ces catégories. En effet, le projet qui consiste à séparer son avenir de celui du reste du monde n'a nullement besoin d'être comploter dans l'ombre, ni planifier, ni même consciemment formuler pour prendre forme. Il est simplement ce qui advient lorsque, dans le contexte qui est celui du monde depuis une quarantaine d'année, des personnes se sentant appartenir à ces catégories agissent en fonction de leurs intérêts et selon des logiques de groupe finalement assez ordinaire. Latour trouve de ce point de vue que l'administration Trump, qui met sur le devant de la scène le climato-scepticisme, a l'immense mérite de clarifier la situation, dans la mesure où son usage de l'hypocrisie est moins subtil, ou du moins suit des chemins différents de ce qui se fait chez nous. Ces élites, en somme, ont bien compris que els questions écologiques ne sont pas séparables des questions sociales. La vaste majorité de l'humanité se trouve ainsi rejeter du mauvais côté de la frontière, du côté de la nature, avec tout ces "objets" qu'il faut savoir gérer, et qui se révèlent parfois menaçants.
Le brouillage actuel des critères, le fait que la flèche du progrès tourne en tous sens et s'affole comme une boussole détraquée dès qu'on la pose sur un sujet concret, a donc deux causes. La première est conceptuelle - notre modèle et, notamment, notre notion de progrès, repose sur l'idée d'une nature infinie, alors qu'elle ne l'est pas - la seconde, liée a la première, est politique - une part au moins de l'élite ne croit plus depuis longtemps à une mondialisation heureuse pour tous et a fait sécession du reste de l'humanité.
Le brouillage actuel des critères, le fait que la flèche du progrès tourne en tous sens et s’affole comme une boussole détraquée dès qu’on la pose sur un sujet concret, a donc deux causes. La première est conceptuelle - notre modèle et, notamment, notre notion de progrès, repose sur l’idée d’une nature infinie, alors qu’elle ne l’est pas - la seconde, liée à la première, est politique - une part au moins de l’élite ne croit plus depuis longtemps à une mondialisation heureuse pour tous et a fait sécession du reste de l’humanité. (p. 123)
"On dit des Jivaros que leur langue ne possédait pas de terme pour désigner le chef". Pierre Clastres....