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Critique de Satyasaibaba


Voilà 30 ans que Gisèle Pineau travaille dans un hôpital psychiatrique ; 30 ans qu'elle fréquente de près la folie, la violence et le désespoir ; 30 ans à regarder la folie aller et venir, jouer au chat et à la souris, tromper son monde, faire semblant de disparaître, se cristalliser, se réveiller et revenir en force, enragée et brûlante, comme aux premiers jours. le constat est là : la folie, pour la plupart des patients qui fréquentent l'hôpital psychiatrique, est en quelque sorte, un aller simple. Peuvent-ils en guérir ?
Ils sont arrivés là après un long voyage, « comme les coquillages jonchant les plages de la Guadeloupe ». Êtres rejetés dans les marges, hors du monde dit normal, ce sont des hommes et des femmes qui fléchissent face à la brutalité externe ou qui s'écroulent, terrassés par les idées délirantes surgies de leur esprit. Certains voient et entendent des créatures fantastiques ; d'autres débordent d'une violence sans nom.
Avec une patience infinie, Gisèle les soigne dans le sens où elle s'occupe d'eux avec compassion, avec respect, en faisant parfois le dos rond, ravalant sa colère et attendant que le vent tombe quand la tension est palpable, pour ne pas tout faire exploser. Son rôle est aussi de garantir leur sécurité, de les protéger d'eux-mêmes, de leurs pulsions mortifères, de les suivre dans les zones de turbulences. Dans cet exercice périlleux, les mots qu'elles et ses collègues choisissent sont, à leurs manières, des instruments de soin. Mais de là à parler de guérison, il y a un pas que Gisèle, ni personne à la lecture du livre, ne semble croire vraiment possible.

C'est un témoignage fort que nous donne à lire Gisèle Pineau à travers le récit qu'elle nous fait d'une de ses journées d'infirmière dans un hôpital psychiatrique ; une journée de travail qui, ayant débuté par l'annonce du suicide d'une patiente, va s'étirer sur plus de trente ans, l'auteur nous emmenant au gré de ses souvenirs et de ses réflexions sur les chemins de traverse de son existence. Pas banal, en effet, le destin de cette jeune guadeloupéenne venue à Paris étudier les lettres – parce qu'elle aime écrire – et qui, par hasard et par nécessité devient élève infirmière psychiatrique à l'hôpital de Villejuif. Diplômée, elle exercera son métier pendant 20 ans en Guadeloupe avant de le poursuivre en France et de mener en parallèle une carrière d'écrivain – sa manière à elle de délirer !

En refermant « Folie, aller simple », le constat semble amer et le phénomène interpellant : dans les séries télévisées, les romans à succès, les thrillers, les fous font de bonnes histoires et n'en finissent pas de nous fasciner. Dans la vraie vie, ils font peur et la tentation est grande de les marginaliser, de vouloir les enfermer ad vitam aeternam dans des hôpitaux-prisons à l'écart du monde civilisé. Sauf que les moyens ne sont pas là : en France, de nombreuses unités de soins, voir des services entiers ont fermé ces dernières années dans les hôpitaux psychiatriques, parce qu'on veut penser ceux-ci en terme de gestion sur le modèle de l'hôpital général, oubliant qu'on ne soigne pas les troubles du comportement et les affections mentales comme on soigne un corps ou une maladie. Pour libérer des lits dans un souci de rentabilité, beaucoup de patients sont obligés de quitter l'hôpital psychiatrique dans un état jugé encore fragile et surtout sans que les conditions de leur existence, en dehors de l'établissement psychiatrique, soient clairement posées et arrêtées. Les témoignages de ces familles qui abandonnent leur malade, incapables de supporter cette différence dérangeante sont d'une horreur absolue. Pour l'équipe soignante, il en résulte un terrible sentiment de gâchis ; et pour nous lecteurs, un énorme sentiment d'empathie envers cette microsociété de la marge et envers ceux qui, comme Gisèle Pineau, montent la garde, contre vents et marées, face à ces troupes en déroute.
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