AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La République (128)

Chacun sait que toute plante, tout animal qui ne trouve en naissant ni la nourriture, ni la saison, ni le climat qui lui conviennent, se corrompt d’autant plus que sa nature est plus vigoureuse : car le mal est plus contraire à ce qui est bon qu’à ce qui n’est ni bon ni mauvais.

Cela est certain.

Il est donc raisonnable de dire qu’une nature excellente, avec un régime contraire, devient pire qu’une nature plus médiocre.

Oui.

Affirmons également, mon cher Adimante, que les ames les plus heureusement douées deviennent les plus mauvaises de toutes par la mauvaise éducation. Crois-tu en effet que les grands crimes et la méchanceté consommée partent d’une ame vulgaire et non d’une ame pleine de vigueur, dont l’éducation a dépravé les excellentes qualités, et penses-tu qu’une ame faible puisse jamais faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal ?

Non, je pense comme toi.

Si donc le philosophe dont nous avons tracé le caractère naturel, reçoit l’enseignement qui lui convient, c’est une nécessité qu’en se développant il parvienne à toutes les vertus : si, au contraire, il tombe sur un sol étranger, y prend racine et s’y développe, c’est une nécessité qu’il produise tous les vices, à moins qu’il ne se trouve un Dieu qui le protége. Crois-tu aussi, comme la multitude, que ceux qui corrompent la jeunesse d’une manière sérieuse soient quelques sophistes, simples particuliers ? Ne penses-tu pas plutôt que ceux qui le disent, sont eux-mêmes les plus grands des sophistes, et qu’ils savent parfaitement former et tourner à leur gré jeunes et vieux, hommes et femmes ?

Et quand cela ?

C’est lorsqu’assis dans les assemblées politiques, aux tribunaux, aux théâtres, dans les camps et partout où il y a de la foule, ils blâment ou ils approuvent certaines paroles et certaines actions, avec un grand tumulte, toujours outrés, soit qu’ils se récrient soit qu’ils applaudissent, et que l’écho retentissant des murailles et des lieux d’alentour redouble encore le fracas du blâme et de la louange. Quel effet produiront, dis-moi, de semblables scènes sur le cœur d’un jeune homme ? Quelle éducation particulière sera assez forte pour ne pas faire naufrage au milieu de ces flots de louanges et de critiques, et ne pas se laisser aller où leur courant l’entraîne ? Le jeune homme ne jugera-t-il pas comme cette multitude de ce qui est beau ou honteux ? Ne s’attachera-t-il pas aux mêmes choses ? Ne lui deviendra-t-il pas semblable ?

Mon cher Socrate, l’épreuve est irrésistible.

Et cependant je n’ai pas encore parlé de la plus puissante de toutes.

Quelle est-elle ?

C’est quand ces habiles maîtres et sophistes, ne pouvant rien par les discours, y ajoutent les actions. Ne sais-tu pas qu’ils ont, contre ceux qui ne se laissent pas persuader, des condamnations infamantes, des amendes, des arrêts de mort ?

Je le sais.

Quel autre sophiste, quels enseignemens particuliers pourraient prévaloir contre de pareilles leçons ?

Je n’en connais point.

Non, sans doute ; et y prétendre seulement serait grande folie. Il n’y a point, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais d’éducation morale qui puisse aller contre celle dont le peuple dispose ; j’entends, mon cher, d’éducation humaine, et bien entendu que j’excepte avec le proverbe ce qui serait divin. Sache bien que si, dans de semblables gouvernemens, il se trouve quelque ame qui échappe au naufrage commun et soit ce qu’elle doit être, tu peux dire sans crainte d’erreur que c’est une protection divine qui l’a sauvée.

Je suis bien de ton avis.

Alors tu pourras être encore de mon avis sur ceci.

Sur quoi ?

Tous ces simples particuliers, docteurs mercenaires, que le peuple appelle sophistes et qu’il regarde comme ses concurrens et ses rivaux, n’enseignent autre chose que ces opinions mêmes professées par la multitude dans les assemblées nombreuses, et c’est là ce qu’ils appellent sagesse. On dirait un homme qui, après avoir observé les mouvemens instinctifs et les appétits d’un animal grand et robuste, par où il faut l’approcher et par où le toucher, quand et pourquoi il est farouche ou paisible, quels cris il a coutume de pousser en chaque occasion, et quel ton de voix l’apaise ou l’irrite, après avoir recueilli sur tout cela les observations d’une longue expérience, en formerait un corps de science qu’il se mettrait à enseigner, sans pouvoir au fond discerner, parmi ces habitudes et ces appétits, ce qui est honnête, bon, juste, de ce qui est honteux, mauvais, injuste ; se conformant dans ses jugemens à l’instinct du redoutable animal ; appelant bien ce qui lui donne de la joie, mal, ce qui le courrouce, et, sans faire d’autre distinction, réduisant le juste et le beau à ce qui satisfait les nécessités de la nature, parce que la différence essentielle qui existe entre le bien et la nécessité, cet homme ne peut la voir ni la montrer aux autres. Certes, un tel maître ne te semblerait-il pas bien étrange ?
Commenter  J’apprécie          00
Mais, mon cher Glaucon, dans un État où les citoyens doivent être heureux, il ne peut pas être permis de former des unions au hasard ou de commettre des fautes du même genre, et les magistrats ne devront pas le souffrir.

En effet, cela ne doit pas être.

Il est donc évident après cela que nous ferons des mariages aussi saints qu’il nous sera possible, et les plus avantageux à l’État seront les plus saints.

Soit.

Mais comment seront-ils les plus avantageux ? C’est à toi, Glaucon, de me le dire. Je vois que tu élèves dans ta maison des chiens de chasse et des oiseaux de proie en grand nombre. As-tu pris garde à ce qu’on fait pour les accoupler et en avoir des petits ?

Que fait-on ?

Parmi ces animaux, quoique tous de bonne race, n’en est-il pas quelques-uns qui l’emportent sur les autres ?

Oui.

Veux-tu avoir des petits de tous également, ou aimes-tu mieux en avoir de ceux qui l’emportent sur les autres ?

J’aime mieux en avoir de ceux-ci.

Des plus jeunes, des plus vieux, ou de ceux qui sont dans la force de l’âge ?

De ces derniers.

Sans toutes ces précautions dans l’accouplement, n’es-tu pas persuadé que la race de tes chiens et de tes oiseaux dégénérerait beaucoup ?

Oui.

Crois-tu qu’il n’en soit pas de même des chevaux et des autres animaux ?

Il serait absurde de ne pas le croire.

Grands dieux ! mon cher ami, quels hommes supérieurs nous faudra-t-il pour magistrats, s’il en est de même à l’égard de l’espèce humaine !

Sans doute il en est de même ; mais pourquoi parles-tu ainsi ?

C’est qu’ils seront dans la nécessité d’employer un grand nombre de remèdes. Or, un médecin ordinaire, même le plus mauvais, paraît suffire, pour guérir les malades, lorsqu’au lieu de remèdes ils demandent un régime à suivre ; mais on sait que l’emploi des remèdes exige un plus habile médecin.

J’en conviens : mais à quel propos dis-tu cela ?

Le voici. Il me semble que les magistrats seront obligés de recourir souvent au mensonge et à la tromperie pour le bien des citoyens ; et nous avons dit quelque part que de semblables moyens sont utiles, lorsqu’on s’en sert en guise de remède.

Nous l’avons dit avec raison.

Ce remède ne s’appliquerait pas mal, ce semble, aux mariages et à la propagation de l’espèce.

Comment cela ?

Il faut, selon nos principes, rendre les rapports très fréquens entre les hommes et les femmes d’élite, et très rares entre les sujets les moins estimables de l’un et de l’autre sexe ; de plus, il faut élever les enfans des premiers et non ceux des seconds, si l’on veut avoir un troupeau toujours choisi ; enfin, il faut que les magistrats seuls connaissent toutes ces mesures, pour qu’il y ait le moins de discorde possible dans le troupeau.

À merveille.

Ainsi il sera à propos d’instituer des fêtes où nous rassemblerons les époux futurs, avec des sacrifices et des hymnes appropriés à ces solemnités. Nous remettons aux magistrats le soin de régler le nombre des mariages, afin qu’ils maintiennent le même nombre d’hommes, en réparant les vuides de la guerre, des maladies et des autres accidens, et que l’État, autant qu’il se pourra, ne s’agrandisse ni ne diminue.

Oui.

Je suis d’avis que le sort soit si habilement ménagé que les sujets inférieurs accusent la fortune et jamais les magistrats de ce qui leur est échu.

À la bonne heure.

Quant aux jeunes gens qui se seront signalés à la guerre ou ailleurs, entre autres récompenses, il leur sera accordé d’avoir un commerce plus fréquent avec les femmes, afin que, sous ce prétexte, le plus grand nombre des enfans proviennent de cette lignée.

Très bien.

Les enfans, à mesure qu’ils naîtront, seront remis entre les mains d’hommes ou de femmes, ou d’hommes et de femmes réunis et qui auront été préposés au soin de leur éducation ; car les charges publiques doivent être communes à l’un et à l’autre sexe.

Oui.

Ils porteront au bercail commun les enfans des citoyens d’élite, et les confieront à des gouvernantes, qui auront leur demeure à part dans un quartier de la ville. Pour les enfans des citoyens moins estimables, et même pour ceux des autres qui auraient quelque difformité[8], ils les cacheront, comme il convient, dans quelque endroit secret et qu’il sera interdit de révéler.

Oui, si l’on veut conserver dans toute sa pureté la race des guerriers.

Ils veilleront à la nourriture des enfans, en conduisant les mères au bercail, à l’époque de l’éruption du lait, après avoir pris toutes les précautions pour qu’aucune d’elles ne reconnaisse son enfant ; et si les mères ne suffisent point à les allaiter, ils se procureront d’autres femmes pour cet office ; et même pour celles qui ont suffisamment de lait, ils auront soin qu’elles ne donnent pas le sein trop long-temps ; quant aux veilles et aux autres soins minutieux, ils en chargeront les nourrices mercenaires et les gouvernantes.

En vérité, tu rendras aux femmes des guerriers l’état de mères bien facile.
Commenter  J’apprécie          54
Mais il faut aussi accorder beaucoup d'importance à la vérité. Car si nous avons eu raison de parler comme nous l'avons fait tout à l'heure, et si réellement le mensonge n'est d'aucune utilité pour les dieux et qu'il est par contre utile aux hommes à la manière d'une espèce de drogue, il est évident que le recours à cette drogue doit être confiée aux médecins, et que les profanes ne doivent pas y toucher.
- C'est évident, dit-il.
- C'est donc à ceux qui gouvernent la cité, si vraiment on doit l'accorder à certains, que revient la possibilité de mentir, que ce soit à l'égard des ennemis, ou à l'égard des citoyens, quand il s'agit de l'intérêt de la cité. Pour tous les autres, il est hors de questions qu'ils y recourent. Si, par ailleurs, il arrive qu'un individu particulier mente à nos gouvernants, nous dirons qu'il commet une faute grave [...]
Commenter  J’apprécie          78
Quelle éducation leur donnerons-nous ? Il est difficile, n’est-ce pas, d’en trouver une meilleure que celle qui s’est établie au cours des âges ? Je veux dire la gymnastique pour le corps et la musique pour l’âme.

Nous avons en effet l’une et l’autre.

Cette éducation ne commencera-t-elle pas par la musique plutôt que par la gymnastique ?

Cela va de soi.

Or la musique comporte des discours : l’admets-tu ou ne l’admets-tu pas ?

Je l’admets.

Mais n’y a-t-il pas deux espèces de discours, les vrais et les mensongers ?

Si.

Les uns et les autres entreront dans notre enseignement, mais d’abord ceux qui sont mensongers.

Je ne saisis pas, dit-il, ce que tu veux dire.

Tu ne saisis pas, dis-je, qu’on commence l’éducation des enfants en leur contant des fables ? Or ces fables ne sont en somme que des mensonges, malgré les quelques vérités qui s’y mêlent. On se sert de ces fables pour l’instruction des enfants avant de les envoyer au gymnase.

C’est vrai.

Voilà pourquoi je disais qu’il faut entamer la musique avant la gymnastique.

C’est juste, dit-il.

Ne sais-tu pas qu’en toutes choses la grande affaire est le commencement, principalement pour tout être jeune et tendre, parce que c’est à ce moment qu’on façonne et qu’on enfonce le mieux l’empreinte dont on veut marquer un individu ?

C’est bien certain.

En ce cas laisserons-nous à la légère les enfants prêter l’oreille à n’importe quelle fable imaginée par le premier venu et recevoir dans leur esprit des opinions le plus souvent contraires à celles qu’ils devront avoir, selon nous, quand ils seront grands ?

Nous ne le permettrons pas du tout.

Il faut donc commencer, semble-t-il, par veiller sur les faiseurs de fables, cet, s’ils en font de bonnes, les adopter, de mauvaises, les rejeter. Nous engagerons ensuite les nourrices et les mères à conter aux enfants celles que nous aurons adoptées et à leur façonner l’âme avec leurs fables beaucoup plus soigneusement que le corps avec leurs mains. Quant aux fables qu’elles racontent à présent, il faut en rejeter le plus grand nombre.

Lesquelles ? demanda-t-il.

Nous jugerons, répondis-je, des petites par les grandes ; car grandes et petites, il faut qu’elles soient faites sur le même modèle et produisent le même effet ; n’est-ce pas ton avis ?

Si, dit-il ; mais je ne vois pas non plus quelles sont ces grandes fables dont tu parles.

Ce sont, répondis-je, celles des deux conteurs Hésiode et Homère, et des autres poètes ; car ce sont eux qui ont composé ces fables mensongères qu’on a racontées et qu’on raconte encore aux hommes.

Quelles sont donc ces fables, demanda-t-il, et qu’y blâmes-tu ?

Ce qu’il y faut blâmer d’abord et avant tout, répondis-je, c’est-à-dire de vilains mensonges.
Commenter  J’apprécie          84
Nous devons alors le convaincre en douceur, car il ne fait pas exprès de se tromper'. Nous lui demanderons : Homme de toutes les bénédictions, le bien comme l'infamie ne trouvent-ils pas leur statut dans les mœurs en vertu d'un système que nous pouvons ainsi définir : on parle de bien, quand la domination de l'homme, ou plutôt sans doute la domination de l'élément divin, s'exerce sur le secteur qui participe de la bête féroce en nous; on parle d'infamie quand la domination de la part sauvage s'exerce sur la part civilisée pour la réduire en servitude ? Notre homme ne sera-t-il pas d'accord? ou bien que dira-t-il?
Commenter  J’apprécie          00
Au demeurant, s’il existe quelque chose de plus facile à modeler que la cire et semblables matières, c’est bien la pensée, et donc voilà qui est fait…
Commenter  J’apprécie          30
Socrate : Et vont-ils continuer à enrager si nous reprenons notre formule : tant que la cité n'aura pas la race des philosophes pour y exercer le pouvoir, ni la cité ni les citoyens ne connaitront de répit à leurs malheurs - ni tant que la forme de cité dont le mythe a été créé dans nos phrases ne passera pas dans les faits pour y trouver son achèvement'?
Commenter  J’apprécie          20
Glaucon - Mais à qui donneras-tu le nom de vrais philosophes ?
Socrate - À ceux qui aiment le spectacle de la vérité.
Commenter  J’apprécie          40
chacun recourt aux autres, comme s'ils étaient ses maîtres, ses arbitres, et il est forcé de s'adresser à leur justice, faute de l'avoir à domicile.
Commenter  J’apprécie          10
Tu t'es certainement avisé que les imitations pratiquées très tôt s'érigent en habitudes; elles s'installent comme une autre nature jusque dans le physique, la voix, les idées.
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (3848) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Philo pour tous

    Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

    Les Mystères de la patience
    Le Monde de Sophie
    Maya
    Vita brevis

    10 questions
    445 lecteurs ont répondu
    Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

    {* *}