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Critique de oblo


oblo
13 novembre 2017
Dans les plaines d'Asie centrale, gelées en hiver et brûlées en été, Vermo, un ingénieur, rejoint le sovkhoze des Fermes Natales. Il doit aider Nadia Bostaloïeva, la directrice du sovkhoze, à augmenter la production de viande et ainsi satisfaire, et même dépasser, le plan économique de l'Union des Républiques socialistes soviétiques.

La quatrième de couverture porte à confusion. On imagine volontiers un voyage vers les entrailles de la terre, un Jules Verne chez les Soviets. Il n'en est rien. La mer de Jouvence, qui donne son titre au roman, c'est la réserve d'eau supposée qui serait cachée dans les profondeurs de la terre et que Vermo voudrait faire rejaillir à la surface pour abreuver les hommes et les bêtes du sovkhoze. Car, dans ce désert où rien ne se passe, les contraintes naturelles, à commencer par l'absence d'eau, sont un terrible défi à la volonté bolchevique.

Porté par la volonté collective et les forces individuelles - Nadia Bostaloïeva d'abord, la vieille Federatovna ensuite, mais aussi Kemal le forgeron ou encore Vyssokovski le zootechnicien -, Vermo imagine toutes sortes de moyens pour élever les Fermes Natales vers l'horizon radieux promis par l'idéal soviétique. Mais, dans la steppe, tout n'est qu'illusion ou, tout du moins, paradoxe : on rêve d'avenir dans les Fermes Natales, on veut élever le projet socialiste en creusant la terre, on travaille pour la fraternité humaine en oubliant jusqu'à son humanité (on croit assister à la naissance d'un amour entre Vermo et Nadia ; il ne reste chez Vermo comme chez Nadia que l'obsession de construire, par le travail, sinon une société idéale, du moins un sovkhoze qui répond aux exigences du Parti).

Sous les slogans, sous les termes techniques et la prose qui reprend volontairement et excessivement la sémantique soviétique, Platonov cache son ironie. Une ironie empreinte, probablement, de tristesse ou d'amertume. Car le roman n'est pas un simple réquisitoire contre la politique du Parti Soviétique. C'est aussi le miroir d'un homme qui a cru à la Révolution, aux idéaux socialistes, qui a tenté de mettre en oeuvre la grande fraternisation des hommes, qui a voulu briser les barrières sociales et géopolitiques d'un pays qui, véritablement, naissait. Mais cette naissance s'est faite dans le sang et la violence, et Platonov l'a compris. Parce que son écriture est difficilement saisissable - la frontière entre l'ironie et la véritable foi en un programme idéologique tel que le socialisme est ténue -, Platonov a été placardisé par les autorités intellectuelles soviétiques, Maxime Gorki en tête.

De cette utopie socialiste comme de ce roman, il reste l'impression flou d'un rêve qui s'est transformé en cauchemar. Car, dans le roman, les personnages sont moins des êtres humains que les instruments dociles de la réalisation d'une idéologique politique et d'un système économique qui, dès son origine, manque de viabilité (ainsi la quête de Nadia dans la capitale de la République pour trouver des matériaux démontre l'absence de moyens réels de mettre en place ce que l'idéologie politique prône). Les personnages semblent caricaturaux et, pourtant, ils ne sont que l'expression la plus humble - hormis Vermo et Vyssokovski, aucun n'est supposé instruit - de l'homo sovieticus. La mer de Jouvence est une utopie poursuivie avec acharnement par ceux qui habitent le roman. Dans un ultime paradoxe, c'est une source de vie qui est, finalement, source de mort.
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