Gorki et ses fils, correspondance (1901-1934) , traduit du russe et préfacé par
Jean-Baptiste Godon, est paru aux éditions des Syrtes.
Près de dix mille lettres de la main de
Maxime Gorki sont conservées par les archives de l'Institut de la littérature mondiale de Moscou. La présente correspondance inédite entre l'écrivain et ses fils représente 216 lettres échangées entre 1901 et 1934.
Plus d'info sur https://editions-syrtes.com/produit/
gorkietsesfils/
Nos remerciements à la Bibliothèque russe Tourguenev à Paris pour avoir gracieusement accueilli le tournage.
+ Lire la suite
La vie est comme une espèce de bazar. Tout le monde cherche à se tromper : donner moins, prendre plus.
LES ESTIVANTS, Acte III.
La vie de toute personne qui pense est un drame terrible.
LES ESTIVANTS, Acte IV.
OLGA ALEXÉÏÉVNA : Bien sûr, ça vous fait rire d'entendre tout ça… ça vous ennuie… je comprends ! Mais quoi ! Tout le monde voit midi à sa porte… Les enfants… quand je pense à eux, dans la poitrine, c'est comme un tocsin qui sonne… les enfants ! c'est dur avec eux, Varia, c'est tellement dur, si tu savais !
VARVARA MIKHAÏLOVNA : Excuse-moi, j'ai toujours l'impression que tu exagères…
OLGA ALEXÉÏÉVNA : Non ! ne dis pas ça ! Tu ne peux pas juger… Tu ne peux pas ! Tu ne sais pas ce que ça peut être, ce sentiment pesant, oppressant — la responsabilité devant les enfants ! Ils vont me demander comment est-ce qu'il faut vivre… Qu'est-ce que je leur dirai ?
VLAS : Pourquoi vous vous inquiétez toujours à l'avance ? Peut-être qu'ils ne demanderont rien ? Peut-être qu'ils verront ça tout seuls, comment il faut vivre…
Acte I.

Chaque jour, dans la fumée et l'odeur de l'huile du faubourg ouvrier, la sirène de la fabrique mugissait et tremblait. Et des petites maisons grises sortaient en hâte, comme des blattes effrayées, des gens maussades aux muscles encore las. [...]
Le soir, quand le soleil se couchait et que ses rouges rayons brillaient aux vitres des maisons, la fabrique vomissait de ses entrailles de pierre, aux scories humaines, et les ouvriers, aux visages noirs de fumée, aux dents brillantes d'affamés, se répandaient à nouveau par les rues, laissant dans l'air des exhalaisons moites de graisse de machines. Maintenant, les voix étaient animés et même joyeuses ; leur travail de forçat était fini pour aujourd'hui, le souper et le repos les attendaient à la maison.
La fabrique avait englouti la journée ; les machines avaient sucé dans les muscles des hommes toutes les forces dont elles avaient eu besoin. Ce jour était rayé sans laisser de traces ; l'homme avait fait un pas de plus vers sa tombe, [...].
J'ai l'impression d'avoir été dans mon enfance comme une ruche où des gens divers, simples et obscurs, apportaient, tels des abeilles, le miel de leur expérience et de leurs idées sur la vie ; chacun d'entre eux à sa manière enrichissaient généreusement mon âme. Souvent ce miel était impur et amer, mais qu'importe, toute connaissance est un précieux butin.
Au lieu de s’apitoyer sur les hommes on ferait mieux de les aider.
Avant de la connaître, j'avais comme sommeillé dans les ténèbres ; mais elle parut, me réveilla et me guida vers la lumière. Elle lia d'un fil continu tout ce qui m'entourait, en fit une broderie multicolore et tout de suite devint mon amie à jamais, l'être le plus proche de mon cœur, le plus compréhensible et le plus cher.
OLGA ALEXÉÏÉVNA : Comment est-ce qu'on y arrive ?
MARIA LVOVNA : À quoi ?
OLGA ALEXÉÏÉVNA : À être l'amie de ses enfants.
MARIA LVOVNA : Mais c'est très simple : il faut être sincère avec les enfants, ne pas leur cacher la vérité… ne pas les tromper.
RIOUMINE : Ça, vous savez, c'est risqué ! La vérité, elle est grossière et froide, et, toujours, secrètement, à un degré ou à un autre, elle est empoisonnée par le scepticisme. Vous pouvez empoisonner votre enfant d'un seul coup, en lui dévoilant le visage terrible de la vérité.
MARIA LVOVNA : Parce que vous, vous préférez l'empoisonner petite à petit ?… Pour ne pas remarquer vous-même que vous défigurez un être humain ?
Acte I.
LOUKA : C'est vrai que c'est un ancien baron, cet homme-là ?
BOUBNOV : Va donc savoir ! Mais il a été un monsieur dans le temps, ça c'est sûr. Aujourd'hui encore, il lui arrive de sortir brusquement les griffes. Une vieille habitude.
LOUKA : C'est comme la petite vérole : on en guérit, mais ça laisse des marques.
Nous restâmes longtemps silencieux. La soirée était calme et douce. C'était une de ces mélancoliques soirées de l'été de la Saint-Martin où l'on voit la nature s'appauvrir d'heure en heure et se faner en prenant mille teintes différentes; la terre a fini d'exhaler les parfums capiteux de l'été et ne respire plus qu'une froide humidité; l'air est étrangement transparent et, dans le ciel rougeâtre, le vol rapide des choucas affairés inspire des pensées tristes. Tout se tait. Le plus léger bruit, le frôlement d'un oiseau ou d'une feuille qui tombe, résonne étrangement et vous fait tressaillir; puis c'est à nouveau l'immobilité; le silence qui étreint toute la terre emplit aussi la poitrine.