Le colonel Revjekine, ancien professeur de l'Académie militaire de Moscou, se tut. Il avait fait son dernier cours...
Joudanov l'avait écouté avec une attention soutenue. Dommage, songea-t-il, quand deux soldats eurent emmené le prisonnier. Un homme intelligent, cultivé, et qui sait aller au fond des choses. Puis, il se ressaisit. Cette sympathie pour un traître, c'était vraiment inadmissible, presque une raison de faire son autocritique à la prochaine réunion du Parti. Était-il donc déjà contaminé par ces idées décadentes ? Évidemment, à force de fréquenter des gens qui ne craignaient pas la mort, qui ne craignaient même pas de penser par eux-mêmes...
Penser par soi-même — est-ce que cela existait ? Une illusion de l'idéologie bourgeoise, rien d'autre. Mieux valait résister à ce mirage dangereux.
Les soldats allemands, debout sur les camions, chantaient gaiement :
Les officiers vont rôtir en enfer,
Capitaine et lieutenant,
Sur un poulain noir, dans l'océan vert...
Le soldat russe, tu le connais aussi bien que moi, a été élevé à la dure : il se contentera toujours d’un minimum de nourriture. Mais lorsqu’il a l’estomac complètement vide, eh bien, c’est la débandade.
L’agonie des camions avait débuté par des ruptures d’amortisseurs, pour se poursuivre par des ruptures d’essieux, des capots défoncés, des cylindres limés à force de broyer la poussière. Les voitures ateliers circulaient vingt-quatre heures par jour pour réparer les véhicules tombés en panne – un travail agréable, surtout de nuit et dans les forêts infestées de partisans. Quant aux pièces détachées, elles n’étaient jamais arrivés. D’ailleurs, d’où seraient-elles venues, puisque la majeure partie des voitures était de fabrication française.
L'appareil décrivit un vaste cercle autour de la ville bombardée. Scheuben voyait nettement les longues files des fuyards frappés de panique, leur exode précédé de colonnes de voitures. Mais le pitoyable mobilier entassé sur des charriots, les cadavres piétinés ou rejetés sur le bas-côté de la route, les visages désespérés, les yeux agrandis par l'épouvante, il ne les voyait pas.
- Messieurs, il s'agit d'un avis important. Veuillez prendre note : le Führer a décidé que les commissaires soviétiques seront considérés comme des non-combattants. Par conséquent, ils seront fusillés sur les lieux mêmes de leur capture, c'est-à-dire, et j'insiste sur ce point, en avant des P.C. régimentaires.
- En avant des P.C. régimentaires... répéta d'un ton significatif le lieutenant Holmers, adjoint au régiment d'artillerie. Pour faire croire, sans doute, qu'ils sont morts au combat...