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Critique de berni_29


Je n'aurais jamais dû accepter l'invitation de cet ami d'enfance, un certain Roderick Usher. Il m'invitait à venir séjourner quelques temps dans sa demeure, la fameuse Maison Usher. Oui vous savez, c'est cette grande maison là-bas sur la droite, quand on dépasse les premières collines du comté... Dans sa lettre d'invitation, il m'évoquait un mal qui l'oppressait. Pourtant, c'est bien moi qui ai ressenti un malaise lorsque j'arrivai à proximité des lieux où il résidait.
À peine arrivé à la Maison Usher, et à la vue du domaine, - un manoir austère qui m'impressionna tout de suite par son étrange présence dans le paysage, posé presque comme une énorme verrue, j'ai ressenti une profonde angoisse. Entrant dans la grande demeure de cet ami, - certes je ne l'avais pas vu depuis longtemps, cependant j'ai eu de la peine à le reconnaître tant sa physionomie était modifiée par sa maladie. Il souffrait d'un mal étrange, j'ai pensé à un mal héréditaire, car sa soeur aussi, sa soeur jumelle Madeline, qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, souffrait également de ce même mal singulier.
Hélas, je n'ai pas eu le plaisir de connaître la fameuse Madeline... Madeline, elle ne m'a pas attendu, elle était comme invisible dans les lieux... Je la cherchais pourtant, errant dans les couloirs sans trop en faire, vous connaissez ma discrétion... En même temps, le teint maladif de Madeline ne m'incitait guère à imaginer la prendre par la main, courir ensemble, vagabonder dans les prés et les bois alentours et tutti quanti...
Quelques jours plus tard, résidant encore chez Roderick Usher, je ne fus pas étonné lorsqu'il m'annonça le décès brutal de sa soeur, ma surprise vint seulement de son désir macabre de vouloir conserver son corps durant quinze jours dans un caveau en attendant de procéder à l'enterrement définitif...
Je ne sais pas si je peux vous évoquer la suite, d'ailleurs vous ne me croiriez pas. Moi-même je ne crois pas ce qu'il m'est advenu. J'ai cru devenir fou, je crois bien l'être devenu totalement. C'est si facile aujourd'hui de penser que je n'aurais jamais dû accepter cette invitation...
À moins que toute cette histoire ait été inventée, inventée par quelqu'un de plus fou que Roderick Usher, de plus fou que sa soeur Madeline, de plus fou que moi qui suis désormais en train de perdre la raison en tentant de vous raconter ce récit...
C'est un récit insensé, beau, angoissant, minéral comme la pierre qui peut sceller à jamais l'impossible, ou du moins tenter de le faire...
Je tente ce soir de poser des mots sur cette page, je m'y suis repris à plusieurs fois, j'ai abandonné ce texte, j'y suis revenu, comme une main écartant désespérément de l'intérieur la dalle qui referme un tombeau, j'y suis revenu avec mes mains en sang, je le sais il y a encore des traces sur le papier...
Poe, Edgar Poe, Edgar Allan Poe... je vous en veux cher ami, quel que soit l'endroit d'où vous venez, quel que soit le dessein qui vous ait motivé d'imaginer cette histoire, ce beau texte, - on dit d'ailleurs que c'est l'un de vos plus beaux textes, cette puissance d'évocation dans les mots et qui me hante à jamais... Vous avez réussi votre coup, cher ami !
J'avais beau me dire que tout ce récit était inventé, j'ai compris plus tard, longtemps après qu'il n'en était rien...
Je l'ai compris à ces quelques détails qu'il me paraît difficile de vous révéler ici...
Je l'ai notamment compris en quittant le domaine Usher peut-être pour la dernière fois, ce soir-là... J'étais pressé de repartir chez moi, d'autant plus qu'ils annonçaient une mobilisation d'agriculteurs mécontents et des barrages routiers ici et là...
Je l'ai compris dans cette vision sidérante qui vous fait brusquement passer d'un versant à l'autre, comme si on passait du monde des vivants à celui des morts...
Je me suis retourné... et j'ai vu alors... les pages de mon livre s'effondrer sous mes doigts, se fissurer, se vider de ces mots ciselés à l'épure, gothiques à souhait et qui devenaient cendres et poussières... sable à jamais sous mes paupières que le sommeil emportait déjà vers d'autres rivages... Je suis alors redevenu brusquement un simple lecteur qui se souvenait de cette lecture, La chute de la Maison Usher.
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