Parmi les miens

Il y a peu de choses que je n'acceptais pas venant de maman. La voir mourir en faisait partie.

Ce qu'il ne disait pas, c'était le lit devenu si grand. Le sommeil qui ne venait pas, ou si peu, et qui toujours lui réservait un réveil au goût amer, les yeux ouverts sur l'absence. Quarante ans à se réveiller à deux, comment s'endormir seul ? C'est ce à quoi je songe en regardant papa : comment va-t-il lui survivre ?

«  Ce qu’il reste d’une famille une fois les enfants devenus adultes ne tient pas à grand- chose et notre fratrie particulièrement n’attend qu’un prétexte pour exploser » .

Les jours qui suivent, nous ne parlons pas de l'avenir; nous ne parlons pas de grand-chose d'ailleurs, nous abandonnant à ce temps bien particulier qui suit un traumatisme et n'exige rien d'autre que de se laisser aller à sa douleur.

Mais il n'y a plus l'odeur de maman, il n'y a plus sa fragrance et c'est d'autant plus remarquable que si ma mère parlait peu, et surtout pas d'elle, si elle était parfois absente à nos vies et comme en retrait de la sienne, curieusement, elle s'imposait par un parfum très fort, qui prenait tout l'espace.

A lui dire toute la difficulté à être mère quand la mienne est en train de mourir, lui dire tout ce qu'elle ne m'a pas transmis et que je devrai trouver seule désormais ; lui dire aussi toute l'intimité mêlée de défiance que j'éprouve pour mon bébé et qui me fait peur, me nouent les tripes ; lui dire encore que je n'ai plus souvenir d'une telle intimité avec ma mère aujourd'hui que je suis adulte, et que ça aussi, ça me rend malade.

A ce moment -là, pour tenir, pour ne pas défaillir, je m'accroche très fort à nos souvenirs, à l'idée que nous avons été une famille. Aussi laborieux que cela ait été, nous avons pourtant bien formé un foyer.

Nos vies d'adultes pèsent bien plus que notre histoire commune et si elles nous éloignent les uns des autres, voire nous dressent les uns contre les autres, nous n'y trouvons rien à redire. Et pourtant, plus que la rancoeur, n'est-ce pas la culpabilité et peut-être même la tristesse de ne plus nous aimer inconditionnellement qui nous poussent à nous cogner dessus ?

lui dire encore que je n'ai plus souvenir d'une telle intimité avec ma mère aujourd'hui que je suis adulte, et que ça aussi, ça me rend malade.

On est pas en train de planifier des travaux, un déménagement, ou je ne sais quoi qui justifierait de " savoir où on va" comme tu dis. Pour l'heure elle est encore dans le coma . Deux semaines de coma, soixante trois ans de vie...