Est-ce que mourir va durer longtemps ? Je renifle et me mouche entre deux doigts. C’est triste, je pense en regardant le ciel, la mer, c’est tellement dommage de mourir. Mais sans doute que c’est normal aussi, s’en être allée si loin et seule, si loin vers le Grand Nord, là où on l’appelle « the Last Frontier », la dernière frontière, et l’avoir franchie, la frontière, avoir trouvé son bateau et se retrouver transportée de joie sur l’océan, à y penser le jour et la nuit, à n’en dormir presque plus sur son coin de plancher sale. Connaître des jours, des nuits, des aubes belles à en renier son passé, à y vendre son âme. Oui, avoir osé la franchir, la frontière, ça ne pouvait être que pour y trouver la mort, y pêcher sa fin très rouge et très belle, un poisson ruisselant de mer et de sang, venu se ficher dans ma main comme une flèche flamboyante.
Mais c'est pas une vie quand même le bateau, ne rien avoir à soi, jamais, se faire utiliser d'un embarquement à l'autre. Et toujours devoir refaire son sac, refaire le sac de sa pauvre vie. Recommencer toujours, chaque fois... C'est épuisant au bout du compte, désespérant et épuisant.
-J'suis pas une fille qui court après les hommes, c'est ça que je veux dire, les hommes je m'en fous, mais il faut me laisser libre autrement je m'en vais. ...De toute façon, je m'en vais toujours. Je peux pas m'en empêcher. Ça me rend folle quand on m'oblige à rester, dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je ne suis pas vivable. Être une petite femelle c'est pas pour moi. Je veux qu'on me laisse courir.
« Je ne veux plus être sur terre. Je crois que j’aime mieux me noyer. » (p. 176)
« Ses yeux de pierreries sur moi, ses yeux de poignard et d’amour très sauvage, ses yeux de fauve jaunes qui ne me lâchaient plus jusqu’à me faire sombrer. » (p. 245)
« Et personne ne m’attendra plus jamais enfin. » (p. 19)
« Mais je pense que tu as vas y arriver. Et même que tu vas aimer ça terriblement, aimer ça à accepter le risque d’en mourir. » (p. 27)
Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska. Mais y arriver à quoi bon.
[...] Vouloir partir en Alaska – « the Last Frontier »… Et m’en aller sur l’océan. Tout laisser.
[...] J’irai à Point Barrow.
– Qu’est-ce tu veux foutre à Point Barrow ?
– C’est le bout. Après y a plus rien. Seulement la mer polaire et la banquise. Le soleil de minuit aussi. Je voudrais bien y aller. M’asseoir au bout, tout en haut du monde. J’imagine toujours que je laisserai pendre mes jambes dans le vide… Je mangerai une glace ou du pop-corn. Je fumerai une cigarette. Je regarderai. Je saurai bien que je ne peux pas aller plus loin parce que la Terre est finie.