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Critique de berni_29


C'est un haïku du poète japonais Issa qui ouvre et scelle ce texte...
« Ma maison quand même
cernée du cri des cigales
est restée ouverte. »
Karmina Vltima, ce titre ressemble à un sortilège.
Mais ce texte, qu'est-il réellement ? Son auteur, un certain Philippe Pratx, m'y a invité à entrer comme on franchit le seuil d'une maison inconnue aux parfums envoûtants et vénéneux, entrer sur la pointe des pieds, découvrir son univers onirique.
Ce texte est prétexte à un voyage intemporel, même si le voyageur est ce jeune prince noir, le dernier « Mangbetu », survivant mythique d'une tribu de guerriers africains qui s'en va à la recherche d'un ailleurs peut-être impossible.
Ce départ est une barque poussée dans la souffrance et la solitude qui font écho à celles de notre temps.
« Mais c'est une fin de siècle, d'un siècle futur, il y a beau temps que les livres sont morts, et l'univers malade des vivants est une plaie qui se referme ; ses rives rejointes, ses lèvres retournées au silence referont une chair lisse et vierge, guérie de nous. Cela sentira l'éternelle paix du vide. »
C'est un texte où l'on perd pied, c'est un tangage, c'est une ivresse, c'est un continent à la dérive privé de ses repères, Peu m'importe de perdre pied, de ne pas tout saisir, si je peux m'échouer sur un rivage au bout du chemin, indemne ou pas...
Qui saura me dire à quel moment ce texte, malmené comme la coque d'un bateau en mer d'Iroise, est devenu l'arche qui abrite nos désirs et nos tourments. J'ai aimé être pris en otage dans la nasse de son écriture.
Et cet ailleurs, est-ce une quête impossible ? La recherche d'une femme comme un mythe insensé, « la Dame des montagnes », dont il est question ici et que l'on découvre dans les magnifiques illustrations d'Odona Bernard ? Ou bien simplement une forêt, plus loin, pour se poser comme un éternel retour ?
Ce texte dit l'enfance, le temps qui passe, la mémoire, l'oralité, le déracinement, la transmission, le sens même de la vie... Ce texte dit les chimères et les tempêtes, les mots mis bout à bout, la vie que l'on couche sur des pages, pour peu qu'elle le veuille bien.
Est-ce un long poème, une prose poétique, un récit de voyage, une odyssée, un conte ? Mais est-ce d'ailleurs un livre ? Ou une maison ? Un voyage ? Ou bien peut-être simplement la proue d'un navire qui se défait de ses amarres ?
Si c'est une maison, elle se construit dans le tumulte des flots et la rumeur des fonds océaniques.
Parfois j'ai cru reconnaître la fable étrange et grotesque dans laquelle nous sommes livrés à nos dépens, ballottés par les vents comme des marionnettes désarticulées, perdant le sens de toute chose...
« Se réveiller est, chaque jour, savoir que le monde est perpétuellement dans son agonie interminable. »
J'ai aimé les remous intrépides de ce long poème couturé de chants oniriques qui parlent d'amour, d'exil et de folie, tous d'une lancinante et incroyable beauté.
Chaque escale fut une respiration dans cette écriture où je me suis cogné comme un marin perdu, éperdu de chimères.
J'ai aimé cette écriture lyrique et désespérée, qui transcendent les naufrages et posent des fanaux sur les berges d'un littoral à portée de rêves, comme si la poésie pouvait sauver ce monde en perdition.
« Lutter pour un monde où l'on pourrait vivre sans craindre la calamité de toutes les misères, vivre non pour vivre seulement, mais pour éclater en plénitude, en corolles et en ailes, en ascendances d'air, en flamboiements, au-delà des Murs. Et même… changer tous ceux qui, de part et d'autre de l'univers, font partie de ces cohortes d'êtres vils, cruels souvent, préoccupés seulement de satisfaire la partie glandulaire de leur esprit. En faire des êtres bons. Donner à tous le bonheur. Et, si ce bonheur est rendu impossible dans l'ici et le maintenant, aller à travers le ciel vers une source bienfaisante, vers ces planètes encore sauvages et vierges. de l'adolescence toute crue ! »
Car la poésie n'est-elle pas ce fil qu'on tisse pour relier le visible à l'invisible, relier les vivants aux morts, relier le versant où l'on parvient encore à tenir debout à celui plus incertain en face, plus improbable, plus secret, plus prometteur aussi... ?
Ce texte est peut-être simplement un cri.
Je remercie Philippe Pratx de m'avoir invité dans ce voyage.
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