C’est comme quand tu pionces dans une banlieue pourrie et qu’une gonzesse, draguée dans un aéroport, te demande où tu crèches… tu réponds : Paris. Ça classe tout de suite et t’as quand même plus de chance d’emballer que si tu dis : Bécon-les-Bruyères. C’est pas vraiment un gros mensonge, c’est juste que t’enrobes la pilule. Comme la vérité. Elle est plus facile à avaler avec un bon excipient.
La seule matière qui ne ment pas chez l’homme, disait une féministe inconnue, ce sont les phéromones.
Tu sais que la France détient le record du monde de consommation de produits pharmaceutiques… mais est-ce que tu sais combien pèse l’industrie pharmaceutique en France ?
– Non.
– 950 milliards, mon vieux… oui, tu as bien entendu. Neuf cent cinquante milliards… !
Il laisse à Bonnet le temps de digérer l’info et développe :
– Certains scientifiques – et non des moindres – prétendent que 80 % des médocs ne servent à rien. Cela correspond à ce qu’ils appellent Le façonnage de maladies. Les départements marketing des grands labos, comme celui que dirige l’affriolante madame Stock, vont jusqu’à inventer des maladies imaginaires pour nous faire gober leur camelote, au sens propre comme au figuré. Ils investissent en moyenne 25 000 euros, par an et par médecin, afin de s’assurer que le corps médial prescrira la bonne pilule, au détriment d’autres, peut-être plus adaptées à la pathologie des patients…
– On en revient à la corruption, s’attriste Bonnet.
– De la corruption indirecte car les 25 000 euros, tu t’en doutes, ne sont pas versés en cash. Ce sont des voyages, des séminaires dans des endroits paradisiaques, des soirées pharaoniques, des cadeaux, etc.
– Et le succès du Cholestril viendrait de là ?
– Pas seulement. Le Cholestril est le navire amiral de la flotte Curitas… mais il n’est pas le seul sur le segment, loin s’en faut. Ils sont nombreux à bouffer sur le dos de la bête. Tu te rends compte que le lobby de l’industrie pharmaceutique a obtenu de l’OMS 21 qu’elle baisse de 240 à 200 milligrammes le plafond de tolérance de cholestérol dans le sang. Ce qui a eu pour effet d’augmenter son chiffre d’affaires de 42 %. Vu qu’un médoc de 500 euros a un coût de fabrication de 7 euros au Bangladesh ou en Afrique, tu imagines un peu le bénef…
De son temps, les flics en imposaient. Aujourd’hui, fringués comme des ados… comment peuvent-ils être crédibles ? Commandant, capitaine et lieutenant semblent s’être donnés le mot. Tous trois portent un jeans tuyau de poêle qui met en exergue la maigreur des mollets et donnent aux chaussures des dimensions gullivèriennes.
Une journée sans ronchonner, c’est comme un fromage pasteurisé.
De quel droit un flic à la retraite se prévaut-il pour interrompre une journée de travail, comme ça ? En claquant de doigts ! Du droit dont l'article premier dit Le chefa toujour raison et dont l'article deux stipule Si le chef a tort, se réferer à l'article premier. Le chef, en l'occurrence, c'est le commissaire de l'arrondissement. Et le commissaire de l'arrondissement a donné pleins pouvoirs au commissaire de la Crim' qui a donné pleins pouvoirs à ce gros patapouf qui les mate, de ses yeux de belette, en attendant leur réponse.
C’est une auberge à l’ancienne. Cuisine traditionnelle. Où se retrouvent les familles pour le repas dominical. Où les grand-mères tentent encore de sortir les rejetons du marketing agressif de l’agroalimentaire. Ça sent bon la France des gilets jaunes et du pastis. Jaune aussi. Ça rétropédale dans le ringard… mais ça caresse les narines.
Il lui avait fallu quatre mois, tout au plus, pour rédiger sa Comédie humaine à lui. La comédie de la rue. C'était d'ailleurs le titre quil avait donné à son ouvrage, La comédie de la rue. Et puis, un grain de folie ou d'inconscience, un de ces oublis de ces égarements passagers qui estampillent une existence... l'avait ramené dans le troupeau. Petit boulon vissé sur les rouages complexes de la machinerie humaine. Il avait envisagé de se faire éditer. II voulait publier son roman. Savait-il que cet acte le replaçait dans le jusant de la vie commune...?
Outre les bouquins, il glanait les vieux journaux et parcourait les nouvelles. Des nouvelles qui dataient. Et alors ? Pour lui, le temps n'existait pas. Comme il lisait les pages Culture, il constatait que les critiques mentionnaient souvent les éditions Talbin-Jérôme. Leurs romans suscitaient souvent le dithyrambe.
Il décida que Talbin-Jérôme le publierait.
Une voie privée serpente à travers des arbres centenaires. Les accotements sont manucurés. L’asphalte est lisse comme une piste de curling. On glisse sur l’aisance matérielle comme dans la douce tiédeur d’une couette.
L'amour induit la confiance et cette confiance est aveugle. Elle ne pouvait sublimer les sens s'ils ne s'appuyaient sur un sentiment profond. Ľamour était une terre, le désir une graine et le plaisir, ce joli pétale qui se détache de la fleur pic d'une fugace catalepsie.