Le rouge n'est plus une couleur

Il y avait tant de choses que Max ignorait: ce que c'était que d'avoir des poids invisibles aux chevilles, un brouillard dans la tête, un fardeau sur la poitrine.

Personne n'avait jamais évoqué ce troisième rite de passage, quelque part entre virginité et maternité ; et pourtant, il existait, odieux mais indéniable : le premier viol.

Dans sa chambre à coucher, elle fut submergée, non par le sentiment de perte ou la nostalgie éprouvés l’année précédente, mais par la torpeur. Il n’y avait rien de nouveau à ressentir ici pour elle, seule la vieille tristesse dont elle ne se déferait jamais.

Non; William ne soupçonna rien et dormit d'un sommeil sans rêves tandis que, sans en avoir la moindre conscience ni culpablité, son corps assoupi effaçait toute trace des péchés de son neveu.

Kate s'aperçut très vite qu'il n'y avait guère de façon subtile d'expliquer qu'elle avait été violée. Pas de façon détournée de le dire et, comme il n'existait pas de juste milieu entre avoir été violée et ne pas l'avoir été, il n'y avait aucun moyen de tâter le terrain, de faire allusion à ce qui lui était arrivé pour évaluer la réaction d'une confidente potentielle. Tout ce qu'il y avait, c'était celles qui avaient été violées et celles qui ne l'avaient pas été. Alors elle se tut dans l'espoir que, si elle choisissait de ne pas donner voix à ce qui s'était logé dans sa poitrine, quelque part entre ses poumons et son cœur, cela finirait par s'atténuer ; que ça toxicité évacuerait son corps par ses propres moyens, sécrétée avec la sueur, le sang, la salive, la merde ; qu'en se contentant simplement de respirer, d'exister, elle pourrait peu à peu se purger sans avoir à affronter l'horreur d'avoir à lui donner une forme reconnaissable ; si elle se taisait, peut-être que ça refluerait.