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Critique de enjie77



Couronnée en 1973 Prix Renaudot et membre du jury du prix Femina


Une petite merveille de causticité, d'ironie et de cruauté que j'ai trouvée en déménageant le grenier de mon compagnon. Suzanne Prou m'était totalement inconnue et je serais passée à côté de cette auteure si le billet de @Sabine59 n'avait pas retenu mon attention ! Merci Sabine.

Il faut s'imaginer une très belle demeure cossue dotée d'une immense terrasse qui dore sous le soleil de la Provence, quelques années avant la Grande Guerre.

« La terrasse est étroite et longue. On l'arrose le soir pour faire tomber la poussière et donner un peu de fraîcheur. le sol poreux fait d'octogones exactement imbriqués absorbe l'eau très vite, prend des teintes suaves : mauve, carmin ou jaune écru. Quand on y marche, on croirait, dans le crépuscule, fouler une jonchée de pétales. Les piliers renflés qui composent la balustrade évoquent une rangée de vases de style ; leur file ininterrompue se double d'une rangée de pots de terre où fleurissent des géraniums, des hortensias et des fuchsias. Et le parfum exacerbé du seringa se mêle à l'odeur de la pierre mouillée ».

Une narratrice anonyme regarde, curieuse, cette magnifique demeure où, sur la terrasse, papotent Madame Laure, la maîtresse de maison, trônant en majesté sur le siège le plus haut, Mme Thérèse, sa dame de compagnie ; elles sont toutes les deux en compagnie de quelques vieilles dames habillées de noir, évoquant des souvenirs ou bien rapportant les derniers commérages qui circulent de ci de là dans la ville.

Notre narratrice anonyme les connait bien ces personnes, amies de sa mère. Curieuse, attirée par le mystère que suscitent ces bavardages, elle tente de reconstituer le passé de cette grande demeure à travers les souvenirs, la chronique de la ville, les « on-dits », les suppositions que provoquent la relation de Madame Laure et de Madame Thérèse. Il y a des regards, des attitudes qui sont propices à tous les commentaires. Que dissimulent cette amitié qui parfois vire à une intense crispation. Notre narratrice remonte le temps. Elle nous invite à participer à la genèse de « La Terrasse des Bernardini ».

J'ai pris un grand plaisir à découvrir l'écriture ciselée de Suzanne Prou. Elle possède l'art de décrire avec finesse les relations humaines qu'elle examine à la loupe, qu'elle décortique au scalpel, qu'elle passe au vitriol, un peu à la Stefan Zweig mais en plus ironique, en plus mordant, je la rapprocherais de Chabrol. J'ai admiré l'acuité, la minutie avec laquelle elle dépeint les jeux qui se font et se défont dans les rapports humains selon les intérêts de chacun. Elle pointe la perfidie qui se faufile dans une petite ville aisée de province du début du XXème siècle où tout le monde cherche, plus ou moins, à effacer, à cacher, « quelques cadavres dans le placard ». C'est sans concession d'autant que si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous pouvons tous nous reconnaître dans ce miroir tendu. C'est imparable !

La construction parfaite alterne un chapitre au passé et un chapitre au présent. C'est ainsi que nous pouvons facilement, au fur et à mesure, prendre la mesure de la comédie qui se joue sous nos yeux, au jour d'aujourd'hui, sur cette magnifique terrasse ou papotent de vieilles dames de noir vêtues.

J'ai adoré le ton venimeux du récit, le regard sans complaisance sur les relations humaines. Même la fin ne nous laisse aucun espoir de rédemption!

C'est un prix Renaudot amplement mérité !
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