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Critique de Denis3


L'Homme qui vivait dans sa tête
OU
L'ultime, le magnifique refuge.


Je m'étais dit, il y a quelques mois, qu'il fallait avoir lu quelque chose de Proust, mais j'avais retardé l'échéance, croyant trouver un auteur rébarbatif. Des monologues interminables, écrits dans un style baroque, remplissant un roman où il ne se passe rien. C'est vrai qu'on peut ressentir Proust comme cela. Les phrases de plus d'une page, les subjonctifs, les arbitrages évaluant le moindre petit événement. Mais en rester là, c'est comme admirer un monument en comptant le nombre de pierres dont il est constitué … il faut lire au-delà.

Revenons d'abord sur Proust, qui naît dans un milieu parisien très aisé, juste après la Commune, à la croisée de deux cultures : juive par sa mère, catholique par son père. Petit garçon chétif, qui a failli mourir d'une crise d'asthme sous les yeux de ses parents, et que sa mère appellera toujours “ mon petit serin” ou “mon pauvre loup”. Scolarisé normalement, mais souvent absent des cours. Il commence à lire très tôt prose et poésie …Les photos de l'époque montrent un petit bonhomme à l'air rêveur et aux yeux cernés, contrastant avec l'apparence sérieuse et décidée de Robert Proust, son frère cadet, qui deviendra chirurgien comme le fut leur père.

Sa curiosité, et sans doute l'oisiveté des maladies, lui ouvrent les portes de la littérature, comme la fortune et les connexions familiales lui permettront plus tard d'écarter celles des salons. Plus difficile était l'approche des filles de son âge, qui ne mènera pas à grand'chose. Peut-être Proust était-il bisexuel, et que l'absence de succès d'une part l'aura encouragé à le chercher de l'autre ? Une porte qu'il n'essaiera même pas d'ouvrir, en tous cas, est celle de l'emploi, dont il n'a pas besoin financièrement, et où il s'avère incapable de fixer un choix ou de s'y tenir. C'est sans doute sans grand enthousiasme qu'il passe une licence de lettres.

Sans grand enthousiasme, car il me semble que Proust se réfugie assez tôt dans l'imaginaire . A tel point que le réel, ou si vous préférez, le vécu extérieur, devient très vite une source de matière première destinée à alimenter l'imaginaire, un imaginaire qui finit par se métamorphoser en écriture. Métamorphose pénible, car Proust réécrivait de façon compulsive, et, comme Balzac, enrageait ses imprimeurs.

e vois donc du Côté de chez Swann comme un travail de réécriture du réel, qui d'ailleurs a une structure fractale: le thème de la réécriture se répète à l'intérieur de l'oeuvre. Mme. Verdurin construit autour d'elle une coterie, sorte de monde social miniaturisé, qui la dispense de fréquenter “les ennuyeux” laissés au-dehors. La chère tante Léonie, devenue veuve, choisit de ne plus fréquenter le monde même restreint de Combray, et se retire dans son lit de “malade”, où elle se fera soigner, écouter et consoler par une servante. Swann voit une vierge de Giotto en Odette, une courtisane plus ou moins fatiguée, et à ce titre emporte son image dans son musée mental, tombant follement amoureux d'elle, ignorant que si l'on peut s'emparer d'une image, la personne, elle réside dans ce monde extérieur dont on s'est désintéressé, et conserve son libre arbitre, que l'argent peut louer, mais jamais acheter. L'ami du jeune héros de Combray, enfin, affirmant que “ Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier", et se couvrant de ridicule.

Ainsi La Recherche est-elle une invitation à parcourir quelques épisodes du vécu Proustien, tels qu'il les a revus, interprétés et sans doute profondément remaniés. C'est la visite d'un univers mental, à la fois création et demeure, où vous pourrez rencontrer un homme, sans doute masqué, qui a préféré faire sa vie … ailleurs.





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