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Critique de Arimbo


Après avoir été émerveillé par les trois premiers tomes de "La Recherche", j'ai eu plus de mal à cerner ce quatrième tome.

Il m'a surpris de prime abord par sa partie I, fort courte, qui évoque la découverte par le narrateur de l'homosexualité "passive" du Baron de Charlus, et par la digression à ce propos sur "La race des tantes". Si les réflexions qu'elle comporte ont sans doute dû choquer lors de sa parution, je l'ai trouvée un peu désuète, notamment le contrepoint avec la fertilisation des fleurs. Mais les propos d'une grande vérité sur la vie difficile de la minorité homosexuelle restent malheureusement d'actualité.

Comme le Côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe est très bien construit, comportant de façon symétrique deux réceptions mondaines, celle chez les élégants et raffinés Prince et Princesse de Guermantes au début du roman, et dans la seconde moitié du roman, celle chez les Verdurin, ces riches bourgeois parvenus, déjà vus dans du côté de chez Swann, et que l'on retrouve ici en villégiature près de Balbec.

Entre ces deux épisodes et à la fin du roman, notre narrateur nous livre le récit de ses "aventures" avec Albertine, ses états d'âme (je t'aime un peu, beaucoup....pas du tout!), ses interrogations sur l'homosexualité d'Albertine, sa jalousie presque morbide, et pour finir sa "décision" d'épouser Albertine. Cette relation est étrange, possessive sans être vraiment passionnée, maladivement jalouse sans être réellement aimante. Elle fait le pendant à celle de Swann et Odette dans le premier tome de la Recherche. Est-ce de cette façon plutôt cruelle que Proust voyait la relation amoureuse?

Au milieu du livre, en miroir avec le Côté de Guermantes, le souvenir de la mort de la grand-mère fait une irruption brutale et poignante dans le souvenir du narrateur alors qu'il s'installe dans le Grand Hôtel de Balbec.

Un nombre incroyable de personnages apparaît dans le roman, et leur description fait, je trouve, toute la saveur de cet épisode de la Recherche.
Qu'il s'agisse des invités du Prince et de la Princesse de Guermantes, l'efféminé Vaugoubert amateur de jeunes gens et sa femme au physique masculin, Madame de Saint-Euverte à la chasse au futurs invités pour ses réceptions, la belle Madame de Surgis et ses fils, ou de ceux du clan Verdurin, l'érudit Brichot et sa passion pour l'étymologie, l'effacé Saniette, le prétentieux Docteur Cottard et sa femme, la hautaine et riche Princesse Sherbatoff, mais aussi les invités occasionnels, la Marquise douairière de Cambremer, son fils et sa belle-fille, ce sont des descriptions pleines d'ironie et d'humour, souvent féroces notamment sur les défauts physiques, qui nous sont livrées.
Tout ces petits mondes sont pour moi surtout marqués du sceau de la futilité, du ridicule et de la méchanceté. Mention spéciale pour les Verdurin, dont je m'imagine qu'ils sont le modèle de ces bourgeois riches qui cherchaient à briller comme les aristocrates. Madame Verdurin mène à la baguette sa petite "chapelle" de fidèles (Saint-Loup les qualifiera de"cléricaux"), qui, finalement bien plus que les aristocrates, se complaisent dans un petit monde fermé, où toutes et tous se confortent dans les mêmes opinions. Leur étroitesse d'esprit, leur sectarisme, leur ridicule, cela ne vous rappelle rien? Et tous ces petits cercles qui se croient le nombril du monde, ces groupes "d'amis" Facebook, et tous ces groupes qui fleurissent sur les réseaux?
Le narrateur, qui est l'oeil de Proust, a, je trouve, une attitude ambiguë à l'égard de ces microcosmes, à la fois attiré, fasciné et à l'aise comme un poisson dans l'eau au sein de ces mondanités, et en même temps, un observateur implacable et sans complaisance de la bêtise humaine qui s'y déploie.

J'ai trouvé d'ailleurs, dans cet épisode, que beaucoup de personnages sont plus bas, plus sombres, plus balzaciens que dans les épisodes précédents. Outre les Verdurin, ainsi en est-il de Morel, le violoniste "protégé" du Baron de Charlus, une salaud hypocrite et manipulateur, de son ami le chauffeur, du liftier. Mais il reste quand même Aimé, le Maître d'Hôtel, avec sa bonhommie et ses inénarrables fautes de français. Et enfin on note que n'apparaissent que très peu la maman du narrateur, la cuisinière Françoise et l'ami Saint-Loup. Et Swann, vieilli et malade, ne fait qu'une brève et crépusculaire apparition à la fin de la soirée du Prince de Guermantes.

Sodome et Gomorrhe est surtout marqué par la présence saisissante d'un personnage extraordinaire, qui rattrape un peu la médiocrité de tous les autres, c'est Palamède Charlus (le Mémé de la Duchesse de Guermantes). Ce Baron, frère du Duc de Guermantes et cousin du Prince, que l'on avait vu bien désagréable dans les épisodes précédents, prend ici une dimension toute nouvelle, et se montre bien plus complexe et touchant. Certes il est toujours aussi imbu de lui-même et de son ascendance aristocratique glorieuse, parfois totalement grossier avec qui ne lui plaît pas (ainsi Madame Sainte-Euverte), mais c'est aussi un esthète raffiné, un artiste capable d'accompagner au piano son ami violoniste Morel, un être qui se révèle, dans sa relation aux autres, à la fois fort et faible, rude et sensible. le portrait de cet excentrique vieillissant et "accroc" à la beauté des jeunes mâles est magnifique.

Et puis, bien entendu, comme le suggère le titre, c'est la question de l'homosexualité qui obsède tout le roman. Les adeptes masculins en sont nombreux, Charlus avec Jupien puis avec Morel, Vaugoubert au Faubourg Saint-Germain, Nissim Bernard à Balbec, et même le prestigieux Prince de Guermantes qui tentera (en vain) d'avoir un rapport sexuel avec Morel dans une "Maison de plaisir" près de Balbec. Et du côté féminin, la danse langoureuse, "collé-collé", d'Albertine et de son amie Andrée fera bien gamberger notre narrateur, lui rappellera la vision saphique dans le salon de Mademoiselle Vinteuil et le conduira à "enlever" Albertine à Paris ("il faut absolument que j'épouse Albertine"), et c'est là, je suppose qu'elle sera "La prisonnière" du tome 5.

Quelques remarques pour terminer. On retrouve dans ce tome 4 de la Recherche l'intérêt de Proust pour la modernité. Cette fois, ce n'est pas la photographie et le téléphone est devenu objet courant. Mais l'automobile qui change le rapport à l'espace et au temps et changerait même la conception de l'art. C'est aussi un aéroplane qui fait un passage émouvant dans le ciel.
Et puis, on retrouve aussi l'amour de Proust pour les noms de villes, de "pays", d'autant plus extraordinaire qu'ils sont très souvent inventés, et qui donnent lieu à un festival d'étymologies conduit par l'universitaire Brichot.

En conclusion, cet épisode a été pour moi plus difficile d'accès et m'a donné le sentiment d'être plus sombre que les précédents. On est loin de l'insouciance de l'enfance ou du séjour à Balbec des Jeunes Filles en Fleurs. le narrateur a vieilli...mais il reste toujours aussi inconstant et indécis! Qu'en sera-t-il de la suite?



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