AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de BillDOE


Où il est question des vicissitudes sentimentales du narrateur pour Albertine…
Le narrateur hésite encore à épouser Albertine. Ils vivent dans le même appartement. Ils ont chacun leur chambre et leur salle de bain, jointives, ce qui leur permet de dialoguer pendant leurs ablutions. Il découvre qu'il est jaloux quand elle n'est pas avec lui, car il n'est pas sûr de sa fidélité. Il a toujours en tête des soupçons de relation saphique entre Albertine et Andrée qu'il convoite lui-même, mais aussi avec Mlle Vinteuil et Léa, comédienne et lesbienne reconnue…
« … Je me demandais si me marier avec Albertine ne gâcherait pas ma vie, tant en me faisant assumer la tâche trop lourde pour moi de me consacrer à un autre être, qu'en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant à jamais des joies de la solitude. Et pas de celles-là seulement.» Il souligne là un fait entendu par toutes et tous mais rarement ouvertement reconnu de cette part de liberté sacrifiée sur l'autel de la relation amoureuse et dont l'importance est toute relative à chaque individu.
Alors que la relation du narrateur avec Albertine commence à connaître le bonheur, émerge dans la pensée de celui-ci le doute. Il témoigne de ce besoin irrépressible de remettre tout en question, car si cette union a atteint son point idyllique, il arrive le moment où il ne peut penser que cela durera pour toujours. Alors l'imaginaire envahit son esprit et creuse les fondations de ce qu'il envisage comme une tragédie, avant que la conscience n'en détecte les premiers signes, ou du moins ne croie en deviner les éléments factuels. « Et si… » engage le narrateur sur la pente vertigineuse du doute qui l'entraîne sur la piste de faits dont l'explication arrangée qu'il en fait corrobore ce qu'il aurait pu craindre le plus : la trahison. Tout n'est qu'invention dans l'esprit du narrateur mais à force de tourner, virer, prend la forme exacte d'une vérité supposée. La moindre parcelle d'emploi du temps non expliquée est pour le narrateur source de turpitudes et d'interrogations laissant le libre champs à des scénarios des plus vraisemblables aux plus loufoques. L'auteur fait la démonstration de cette propension qu'a l'humain de corrompre souvent toute relation sentimentale parfaite, trop parfaite, par cette angoisse vertigineuse qu'elle se finisse ou plus simplement en ce qui concerne le narrateur de peut-être révéler par la suite sa vraie nature. Son Moi l'inonde d'informations vraies ou fausses, impossibles à vérifier mais élaborées sur la base d'indices concordant pour que lui-même soit en adéquation avec son raisonnement paranoïaque et en déduise l'infondé de cette relation. Albertine devenant coupable, le prétexte pour s'en séparer permet de faire cesser ses vicissitudes, ses hésitations, ses questionnements, recouvrir sa liberté et lui laisser le champs libre vers d'autres horizons.
« La prisonnière » est aussi l'occasion pour l'auteur d'enfin révéler la part de fiction et de réalité entourant le narrateur, et la relation intime qui les lie. « Elle retrouvait la parole, elle disait : « Mon » ou « Mon chéri », suivis l'un ou l'autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au narrateur le même prénom qu'à l'auteur de ce livre eût fait : « Mon Marcel », « Mon chéri Marcel ». »
Plus il essaye « d'attraper » Albertine, plus elle lui échappe alors qu'il la voudrait sienne, soumise, « sa prisonnière ». C'est là tout le paradoxe du narrateur car lorsqu'elle serait selon ses désirs, il remarque : « Si les femmes de ce qu'on appelait autrefois les maisons closes, si les cocottes elles-mêmes (à condition que nous sachions qu'elles sont des cocottes) nous attirent si peu, ce n'est pas qu'elles soient moins belles que d'autres, c'est qu'elles sont toutes prêtes, que ce qu'on cherche précisément à atteindre, elles nous l'offrent déjà, c'est qu'elles ne sont pas des conquêtes. » Et plus loin : « On aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d'inaccessible, on n'aime que ce qu'on ne possède pas, et bien vite je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine. »
La musique de Vinteuil est présentée comme une autre madeleine de Proust, élément déclencheur de souvenirs, d'impressions qui se rappellent à nous. « Dans la musique de Vinteuil, il y avait ainsi de ces visions qu'il est impossible d'exprimer et presque défendu de contempler, puisque, quand au moment de s'endormir on reçoit la caresse de leur irréel enchantement, à ce moment même, où la raison nous a déjà abandonnés, les yeux se scellent et, avant d'avoir eu le temps de connaître non seulement l'ineffable mais l'invisible, on s'endort… Ainsi rien ne ressemblait plus qu'une belle phrase de Vinteuil à ce plaisir particulier que j'avais quelquefois éprouvé dans ma vie, par exemple devant les clochers de Martinville, certains arbres d'une route de Balbec ou plus simplement au début de cet ouvrage, en buvant une certaine tasse de thé. »
On notera dans ce cinquième tome d' « à la poursuite du temps perdu » que l'auteur écrit deux fois le même passage, en page 165 de la collection blanche de Gallimard et en page 314, où il fait le distinguo entre ce que les gens voient de nous et l'image que nous imaginons leur envoyer. « Nous ne voyons pas notre corps, que les autres voient, et nous « suivons » notre pensée, l'objet invisible aux autres, qui est devant nous. »
Dans « La prisonnière », Marcel Proust démonte avec la précision d'un horloger les rouages de la relation amoureuse, les sentiments passionnés et ses imperfections, son pouvoir destructeur, les errements de la pensée galante mais jamais la gymnastique charnelle du couple, son incarnation physique. Son approche de la relation amoureuse est cérébrale.

« L'amour, c'est l'espace et le temps rendus sensibles au coeur. »

Editions Gallimard, 377 pages.
Commenter  J’apprécie          480



Ont apprécié cette critique (48)voir plus




{* *}