Lui, il était sur son île. Dans l'archipel blanc où vivent les mots de la page. Là, il apprivoisait l'absence du père. La maison n'était plus orpheline. A nouveau, son père était présent, ils étaient ensemble autour de la table. Tous les trois. Ses pensées prirent du volume, il crut sentir les souffles de la mer, le bruit des vagues, à mesure que les mots faisaient leur coulée heureuse. Ulysse revenait au pays des champs d'algues et de menhirs.
L'enfant retenait son souffle. Il voyait des jardins sous la mer. Plus beaux que ceux qu'il apercevait quand il nageait sous l'eau, près des rochers, avec son masque et son tuba. Dans sa tête, ça se mettait à osciller parmi les feuillages et les plis de longues algues à la dérive. Une vie mystérieuse tremblait dans des vallées sous-marines où passaient des nautiles et des coelacanthes. "Des espèces qui remontaient aux temps lointains de la Préhistoire", avait dit le vieux monsieur. Ce monde sous la mer, pensa l'enfant, c'est merveilleux comme un conte.
"Le voilà sur la grève en train de réaliser une de ses
compositions marines, tandis que les vagues au large
déroulent leur éternité sonore. Il fait face à la mer que
la marée a emportée si loin. Il se met au travail, bercé
par ces rumeurs du dehors et par d’autres aussi, en lui.
Ses réalisations sont très réputées : les amateurs de
Land Art les apprécient pour leur poésie et disent qu’il
est doué d’un grand talent. Celle-ci, il sait déjà qu’il lui
donnera pour titre, "Souvenirs de la marée basse". Il pose
sur le sable des galets qu’il a soigneusement choisis, des
algues et des coquillages. Les algues dessinent une grande
écharpe mais personne ne peut rien en dire, c’est le
mystère de l’art. Il est devenu artiste de la mer, il a réalisé
son rêve, l’enfant qui boitait dans sa tête".