AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de karmax211


-Exercices de style - fait partie de mes livres de chevet.
En ces temps où il y a en France 67 millions d'auteurs autoproclamés, comme il y a 67 millions de sélectionneurs de football ou 67 millions d'épidémiologistes, d'infectiologues, de virologues... bref 67 millions d'ultracrépidarianistes ( un mot qui, j'en suis persuadé, aurait amusé Queneau ), il est bon de connaître et d'avoir à portée de lecture cet ouvrage oulipesque, dont le mérite, outre tout ce qui a trait à l'étude de la langue ( la linguistique historique, textuelle, la sémantique, la pragmatique, la phonétique, la phonologie, la grammaire, la syntaxe, la stylistique, l'histoire etc...), est d'offrir à travers "des exercices de style", c'est-à-dire une série quasi inépuisable de prouesses littéraires, une démonstration de ce qu'est l'écriture, de ce que sont ses aspects multidimensionnels si l'on possède les outils ( voir les disciplines mentionnées plus avant ) nécessaires pour pouvoir les exprimer dans ce qu'ils ont de meilleur, j'entends par là de plus créatif, de plus subtil, de plus efficace, de plus intelligent.
Ce livre est donc, autant ce à quoi je viens de faire allusion, qu'un manuel d'hypotrophie de l'ego, de la remise en cause de toutes les prétentions narcissiques... un livre pour tout créateur en gestation qui aurait l'humilité et la sagesse de s'interroger sur ce que à quoi peuvent tendre ses velléités littéraires... s'il est, tel un Lucien de Rubempré, épris de gloire littéraire.
Queneau se propose donc dans cette oeuvre, en partant d'un texte originel, de décliner 99 fois son histoire sur des modes différents.
Cette idée, qu'on qualifie de contrainte... ludique, est née, dit-on, de...
"Il semblerait que pour l'écriture des Exercices de styleQueneau se soit inspiré de l'oeuvre de Bach Die Kunst der Fuge (composée entre 1740 et 1750) qui comporte quatorze fugues et quatre canons. Chacun de ces dix-huit contrepoints se base sur le Contrapunktus. Queneau dit qu'après avoir entendu l'Art de la Fugue il a pensé « qu'il serait bien intéressant de faire quelque chose de ce genre sur le plan littéraire. C'est effectivement et très consciemment en me souvenant de Bach que j'ai écrit Exercices de style ».
Voilà pour la genèse.
Venons-en au texte aux infinies variations.
"L'histoire elle-même tient en quelques mots. le narrateur rencontre dans un bus un jeune homme au long cou, coiffé d'un chapeau mou orné d'une tresse tenant lieu de ruban. Ce quidam échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s'asseoir à une autre place. Un peu plus tard, le narrateur revoit le même jeune homme cour de Rome devant la gare Saint-Lazare en train de discuter avec un ami qui lui conseille d'ajuster (ou d'ajouter) un bouton de son pardessus."
À partir de ce "support narratif", Queneau va nous montrer qu'il est possible de raconter au lecteur, sans le lasser, 99 fois la même histoire.
Et le maestro oulipesque se lance : (au hasard)... la version médicale, sous forme de lettre officielle, d'analyse logique, d'onomatopées, d'anglicismes, d'italianismes, de javanais, de conjugaison des temps, de figures de style, de nuances stylistiques ( ampoulé, vulgaire ), de mode ( comédie, interrogatoire ), en faisant appel à nos cinq sens, à quelques genres poétiques ( le sonnet, le tanka (eh oui ! ), les vers libres, les Alexandrins ), mais aussi les noms propres, les "contre-petteries", les interjections, et ce qu'il appelle le "Modern Style"... je termine cette liste non exhaustive sur "Alors"...
"Alors l'autobus est arrivé. Alors j'ai monté dedans. Alors j'ai vu un citoyen qui m'a saisi l'oeil. Alors j'ai vu son long cou et j'ai vu la tresse qu'il y avait autour de son chapeau. Alors il s'est mis à pester contre son voisin qui lui marchait alors sur les pieds. Alors, il est allé s'asseoir.
Alors, plus tard, je l'ai revu Cour de Rome. Alors il était avec un copain. Alors, il lui disait, le copain: tu devrais faire mettre un autre bouton à ton pardessus. Alors."
Un exemple d'un de ces 99 tours de force qui sont autant d'invites à leur lecture qu'à vous challenger, et écrire vous-même votre propre version.
Car si Queneau s'est limité à 99 versions du même texte, c'est qu'il fallait se fixer, d'un point de vue éditorial, une limite.
Mais il est bien évident qu'il aurait pu non pas se restreindre à 99 versions mais en viser 999.
Amusez-vous à y réfléchir...
Je vous aide un peu : en verlan, sans les voyelles ( A, E ( clin d'oeil à Monsieur Perec, I, O,U,Y ), et bien sûr sans les consonnes ( je ne les liste pas ( sourire ) ), ne pas utiliser de verbes, ne pas employer le masculin ou le féminin, tout mettre au pluriel ou au singulier, écrire une version à la Coluche, à la Desproges, à la Devos..., poétiquement, le fin du fin serait d'en écrire une à la René Char... politiquement à la Trump, à la Berlusconi, à la Poutine ou à la le Pen ( je provoque... encore que...), et puis pour finir... un texte revu et visité par Raoult, l'OMS, les pro et les anti-vax...
Mille manières donc de constater qu'on peut tout écrire et... presque n'importe comment...
Je dis presque, car derrière cet adverbe le talent se tient en embuscade, et que sans lui...
Commenter  J’apprécie          467



Ont apprécié cette critique (39)voir plus




{* *}