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Critique de Christophe_bj


Jean Roscoff, un universitaire à la retraite depuis peu, publie un essai sur un poète américain noir et communiste du XXe siècle complètement oublié, Robert Willow : le Voyant d'Etampes. Il faut dire que ce poète s'était retiré dans l'Essonne pour écrire son oeuvre, en partie en français. Simple maître de conférences non agrégé à Paris VIII Saint-Denis, Jean Roscoff a déjà connu des déboires dans sa carrière universitaire d'historien, en particulier un livre sur les époux Rosenberg, en 1995, les disculpant totalement de l'accusation d'espionnage des Etats-Unis au profit de l'URSS qui leur avait valu la chaise électrique, juste avant que le dossier soit déclassifié et que leur indiscutable culpabilité apparaisse au grand jour. Mais il ne s'attendait pas du tout à la réaction qu'allait susciter son nouvel essai qui avait toutes les chances de rester dans l'obscurité. C'était compter sans les « Nouvelles Puissances » indigénistes et la force des réseaux sociaux. ● D'Abel Quentin j'avais lu le premier roman, Soeur, paru en 2019, que j'avais beaucoup aimé. On retrouve dans son deuxième roman le style flamboyant de ce jeune auteur, mis au service d'un récit palpitant et passionnant. ● Abel Quentin réussit le tour de force à la fois d'expliquer avec beaucoup de pédagogie les ressorts de la pensée de la nouvelle gauche « woke » (« conscientisée ») et d'en faire une critique subtile et pleine de nuances. Car même si cette pensée rend la vie de son héros impossible, celui-ci est parfois obligé de reconnaître qu'elle n'a pas toujours tort. En réalité, le plus critiquable est son moralisme jusqu'auboutiste de justicier, de « commissaire du peuple », qui a aussi fait les heures les plus sanglantes de la Révolution française, d'autant que maintenant elle est fondée sur l'émotion : « Jeanne était sincère, elle était d'une extraordinaire, d'une désarmante sincérité. C'est cela aussi qui effrayait Marc : la force d'une conviction inébranlable. Certes cette conviction se nourrissait du sectarisme le plus étroit, et d'une fascination morbide pour la figure de la Victime (et cette figure ne reconnaissait aucun contre-pouvoir, puisque les Nouvelles Puissances avaient érigé l'émotion au rang de valeur suprême, la souffrance comme étalon de mesure universel). » Il s'agit d'une pensée totalitaire, car elle rend impossibles même les critiques qu'on peut lui opposer : « L'accusation de racisme systémique, dégagée de toute notion d'intentionnalité, était une arme singulièrement efficace. » ● Jean Roscoff a beau répéter tout au long du roman qu'il a « fait la marche des Beurs en 83, putain », il est complètement décontenancé par cette nouvelle façon de penser ; il est perdu. Il ne comprend pas que ce que battent en brèche ces nouveaux gauchistes c'est précisément l'universalisme hérité des Lumières auquel il est si attaché et le sens de la nuance camusien. Son incompréhension l'amène à la faute même si son intention est pure, et donc au châtiment : « Les Nouvelles Puissances étaient les adeptes d'un puritanisme exigeant. Elles broyaient tout élément antagoniste sans barguigner. Elles incriminaient les actes sans considérer l'intention. Ou plutôt elles déduisaient l'intention des actes, et se souciaient peu d'individualiser les peines. L'épaisseur des vies ne les intéressait pas. Il y avait les forces du Mal et il y avait les forces du Bien. » ● La force des réseaux sociaux et leur capacité de cruauté et de harcèlement feront le reste pour l'abattre. ● Abel Quentin écrit là LE roman sur la nouvelle gauche « woke », le nouveau féminisme, le nouvel antiracisme racialiste, la « cancel culture » et leurs nouveaux concepts d'intersectionnalité, d'appropriation culturelle, etc. ● Il manie de plus avec beaucoup de dextérité l'art du récit, comme le montre la surprise finale, tout à fait inattendue. ● C'est un roman profondément juste et jubilatoire, une oeuvre exceptionnelle, le grand livre de la rentrée littéraire 2021.
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