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Critique de Lenocherdeslivres


Deux jeunes gens avancent. Ils ne se connaissent pas et viennent de régions différentes. Mais ils ont quitté leur domicile et ils avancent. Vers quelle direction ? Ils n'en ont qu'une vague idée. le voyage avant tout compte. L'eau, le feu les accompagnent dans leur périple. Jusqu'à la rencontre…

Anastasia vit en Espagne, à Sarsa de Surta, charmant hameau qui, comme beaucoup de cités de la région, peine à trouver de l'eau pour vivre au quotidien. Suite à un drame, elle finit par le quitter. Et part vers un ailleurs différent. Elle chemine dans une nature belle et accueillante, mais exigeante et dangereuse. Au moindre faux pas, elle punit. Nas le sait mieux que quiconque. Elle est d'ailleurs tout sauf naïve. Elle sait la nature, elle sait les plantes, elle sait les animaux. Son père les lui a appris et elle l'aime.

Ayden quitte sa banlieue suite à un accident : à trop jouer avec le feu, on se brûle. Et le voilà lui aussi sur les chemins. Lui aussi marche des heures et des jours dans une nature qui semble n'exister que pour lui. Les autres personnes présentes sont comme figées dans le décor. À part des rencontres, tel l'Iguane qui lui permet de se sustenter, de se reposer, de s'interroger sur son périple, sa raison d'être.

Dans un monde proche du nôtre, en 2035, après la poursuite de la dégradation des conditions climatiques, ils se dirigent, sans le savoir, l'un vers l'autre. Elle est l'eau, il est le feu. Ils cherchent une autre voie, une rédemption, une explication, un moyen de continuer. Dans ce monde si réaliste où pointent cependant des vagues de fantastique, ils foulent une terre qu'on a envie de fouler nous aussi tant les descriptions de l'autrice la rendent tangible, sensible. Tant les arbres paraissent se dressent, là, hors des pages.

Comme ce lieu où semblent se diriger, ils l'ignorent encore, les deux jeunes gens. L'île de Recouvrance, dont le nom fait penser à Brest et un de ses quartiers fameux. Mais aussi à l'île de Batz (plus au nord), avec certains côtés de sa description : surtout son jardin botanique, protégé du climatique océanique et qui permet de voir en Bretagne pousser et s'épanouir des plantes exotiques. Lieu dont le nom semble promettre une nouvelle chance ou un moyen de revenir à un état ancien et souhaité. Avant les dégâts commis à la planète. Aux femmes et aux hommes. On est loin ici des solutions sans doute difficilement réalisables d'Elisa Beiram (Le Premier jour de paix) ou de la bienveillance trop naïve des récits de Becky Chambers (Un psaume pour les recyclés sauvages et Une prière pour les cimes timides). le futur proposé par Émilie Querbalec s'inscrit dans la suite directe de ce que nous vivons. Et c'est ce qui renforce l'impression de profondeur de ses descriptions.

Comme dans ses oeuvres précédentes parues chez A.M.I., Émilie Querbalec n'hésite à user de ruptures de construction. L'histoire que nous suivons pendant la première moitié du récit va prendre une toute autre tournure à la page 121. Soit presque pile au centre de l'ouvrage. Ensuite, elle embraye sur une histoire qui a évidemment des liens profonds avec tout ce que nous avons lu depuis le début, mais qui part dans une autre direction, une autre ambiance, plus proche de la SF que du fantastique qui imprégnait les premières pages. Mais je m'arrête là, ne voulant pas vous ôter le plaisir de ce bouleversement. Je tenais tout de même à évoquer ce changement, car j'ai lu dans pas mal de critiques de Quitter les monts d'automne et, surtout, des Chants de Nüying se plaindre de ce manque de linéarité et donc de cette perturbation dans leurs attentes. Cela peut légitimement s'entendre, même si de mon côté j'avais apprécié ces variations. D'où mon avertissement : ici aussi vous serez un peu secoué. Mais cela, à mon avis, s'avère tout à fait justifié. Et je dois avouer que cette bifurcation m'a très agréablement surpris, car je me demandais bien comment Émilie Querbalec allait pouvoir continuer son récit.

Autre grand changement : l'espace est totalement absent de ce roman. Même la technologie est reléguée à l'arrière-plan. La modernité vient plutôt des plantes, de la terre encore. C'est de là que vient la solution qui peut permettre de s'en sortir, de compenser. Alors bien sûr, on a encore besoin d'électronique pour aider, pour soigner. Mais cela ne vient qu'après le passage du monde vivant.

Il y aurait encore beaucoup à dire tant ce roman est riche et construit, empli d'indices glissés dès les premières pages et qui auront un sens plus tard, beaucoup plus tard. Et aussi de références à d'autres textes plus anciens (comme Voltaire et son Candide). Mais en parler ici dévoilerait trop et ce n'est pas mon but.

Les Sentiers de Recouvrance est un roman court, mais il transporte loin et vite. Les paysages décrits par Émilie Querbalec se sont imposés à moi avec force et précision. Je me suis vu cheminer à travers eux en compagnie de Nas et d'Ayden. Puis, après le changement de cap, j'ai continué sans effort à les accompagner dans leur parcours difficile mais positif. Je reste un admirateur de l'oeuvre de cette autrice, qui n'hésite pas à surprendre, et j'attends, confiant, de voir dans quelle direction elle va nous mener la prochaine fois.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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