[...] ici, la mort, comme tout le reste, est un business. Et on tire plus de profit d’un moribond que d’un mort.
Même si, une fois refroidi, on continue à leur faire gagner du fric, car on doit louer son petit lopin de terre – ça ne coûte pas trop cher, vu que le locataire n’ira pas bien loin.
Sinon, comme monsieur le Pape a interdit de garder des cendres chez soi, ou de les lancer où l’on veut, on doit louer une niche funéraire comme celles qu’il y a dans les cimetières, pour caser les restes de tous ces pauvres cons, même si on n’est jamais bien sûr que ce soit vraiment les leurs, car dans ces fours on brûle des milliers de personnes.
[...] Je viens d’un autre monde, d’un monde froid et compact comme du goudron. Même si je le voulais, je n’arriverais pas à faire remuer le cadavre que je suis devenu.
Jeremias Coraza Salgado, colombien, vingt-quatre ans. Deux peines pour proxénétisme : il a déjà effectué la première, il purgera la seconde dans une boîte en bois.
Quelqu’un avait tendu en travers de l’escalier un fil de cerf-volant, abrasif et coupant, si fin qu’on ne le voyait pas. Il était entré dans sa chair aussi facilement qu’un couteau chaud dans du beurre. Un piège ? Dirigé contre qui ? Contre quiconque emprunterait ces escaliers. Comme Coraza fonçait, la coupure a été profonde. Une personne arrivant plus lentement, ou ne faisant pas la même taille, n’aurait eu qu’une éraflure. C’est comme si la mort avait attendu Coraza pendant vingt et quelques années qu’il passe juste ici à ce moment-là. Il n’y a que le fil. Rien qui puisse me donner une piste. N’importe qui pourrait l’avoir mis là, la galerie commerciale est un lieu public.
De toute façon, le chef fait évacuer. On prend les coordonnées de chaque personne, une par une. Les femmes n’en finissent pas de sortir des différentes boutiques, ainsi que les coiffeurs, les cuistots, les tatoueurs – ces derniers sont de jeunes Chiliens. La moitié des étrangers n’ont pas de papiers en règle.
[...] Jusqu’à ce qu’on soit tous entassés dans le même trou. Qui mérite son sort ? La roue des coups durs n’arrête pas de tourner et chacun aura un jour le numéro perdant. On ne mérite pas cette fin.
[…] La pluie n’arrête pas de tomber et le métro est plein d’animaux mouillés en route vers l’abattoir.