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Critique de Bouteyalamer


Ces traités rassemblent des textes d'une à 136 pages alternant réflexions, aphorismes, observations ponctuelles, dissertations savantes ou fictions. Ils sont rédigés dans la plus grande liberté, ou mieux dans un parti pris d'arbitraire créatif, sans volonté de séduire. A qui aime les commentaires érudits, ils offrent des monographies non conformistes sur l'écrit (forme des livres, forme des lettres, accents, ponctuation, orthographe, mise en page, supports, illustrations et dédicaces, voir le 17ème traité), sur le langage (en particulier le 20ème traité, qui ferait frémir les linguistes), ou sur la langue en tant qu'organe (« la langue connaît quatre principaux emplois très différenciés : nutrition, gustation, langage, baiser » (p 547). Ces thèses sont administrées sans pédagogie mais avec une pénétration saisissante : « Quel est ce texte le plus ancien qu'un homme a noté ? le fragment d'un poème comparable à celui de Dante ? le décompte d'un troupeau de vaches ? Une formule-talisman pour se défendre de la mort ? Liste des noms des rois ?, d'astres ?, de soldats morts ?, de céréales ?, des dieux ?, des parties d'un corps malade ? (Je penche pour le troupeau de vaches) » (p 326). A qui aime l'imaginaire, ces traités offrent aussi des portraits cachés (Spinoza dans le 2ème traité), des fictions historiques (7 pages puissantes sur mort du comte d'Orange dans le 4ème traité) ou un conte libre (Vie de Lu, 10ème traité).

Comme toujours chez Quignard, on y trouve des incises ou des images fulgurantes : « Il souffrait d'une insomnie chronique qu'il avait transformée en bonheur en lisant » (p 41) ; « Les enfants qui flottent dans l'eau obscure de leur mère, quand ils ouvrent la bouche, mangent. Ils sont sans l'air, qu'ils ignorent, et incapables de la voix, qu'ils entendent » (p 81) ; « L'image est proprement l'interdit du dire » (p 133). A propos de l'image, Quignard soutient qu'un livre ne peut être illustré sans trahir (« Toute image est à proscrire dans les livres qu'on ouvre et dans la lecture dans laquelle on se plonge » (p 132), et il cite Flaubert en appui (7ème traité). Cela surprend quand on connait le scénariste de Tous les matins du monde, l'extraordinaire illustration dans le sexe et l'effroi, et chez Flaubert, des monceaux d'images splendides (voir le travelling avant depuis Massada dans Hérodias). Quignard est, comme on sait, féru de latin et d'étymologie. Il cite de multiples textes et nous fait la bonté de les traduire (Hominem pagina nostra sapit « mon livre a la saveur de ce qui est humain » p 302). Il traduit les mots latins avec une grande liberté : « Que veut dire le mot « objet » ? un sein qu'une femme dénude » (p 221). On se rappelle que fascinus dans le sexe et l'effroi était le phallos et la fascinatio, le regard qui ne peut s'en détacher.

On trouve dans ce livre un raccourci de l'admiration et du doute qu'il inspire : « Les plus beaux livres font douter des intentions qui les ont animés » (p 282). Surprise : on n'y parle pas de musique.
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