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Critique de Nemorino


Je me suis encore approvisionnée d'un beau livre dans le Square des Poètes, et curieusement, c'est arrivé pendant la fête juive de Yom Kippour ! J'ai d'abord fait la rencontre avec un tableau, celui de la couverture, qui m'a fait confusément penser aux portraits de Chaïm Soutine où le grotesque et le macabre se mêlent ! Finalement cette oeuvre est d'Arnold Schoenberg, surtout célèbre comme compositeur, l'inventeur de dodécaphonisme ! Dès le début, je suis donc dans mon élément. le texte me parle énormément : la Rue, des errances, la pluie et le froid, la longue obscurité de la nuit de l'hiver, un temps vague où on s'invente des histoires fabuleuses ou simplement on se fait la conversation pour lutter contre la faim de pain ou d'autre chose. Nous sommes nombreux à nous retrouver dans l'écriture riche, sincère et touchante d'Isroel Rabon. Ce qui fait la différence c'est qu'il s'agit ici du récit d'un soldat démobilisé vers 1920, ses cauchemars incessants dépassent tout, le déchiquettent. Il est à la marge autant du monde juif que du monde chrétien. Quels nerfs n'auront pas lâché devant tant de cadavres putréfiés et de barbelés ? Cependant, envers et contre tout, l'invincible humour juif est présent. Ce roman, traduit du yiddish et préfacé par Rachel Ertel, est inclassable même si on y reconnaît des ambiances de Joseph Roth, Kafka, Isaak Babel, Bruno Schultz et Hermann Ungar.
Le héros s'engage dans un cirque où il côtoie de multiples personnages. Des artistes suicidaires qui peuplent le livre viennent réciter leurs poèmes la nuit dans des salles vides. Que d'amours perdues avant même d'être rencontrées ! Toutes sortes de baladins et amuseurs lui content leurs périples absurdes à travers le monde : la Russie, la Hongrie, la Roumanie, la Galicie, la Lituanie, l'Extrême Orient, Pékin. Les récits s'emboîtent l'un dans l'autre. La narration oscille autant entre le passé et le présent qu'entre l'hallucination et le réel.
La préface est bouleversante. Rachel Ertel nous présente l'auteur du livre. Sans elle l'oeuvre d'Isroel Rabon aurait sombré dans l'oubli. Né à 1900, il passe son enfance à Lodz, « le Manchester polonais ». Malgré la misère, la crasse et le bruit des métiers à tisser, l'enfant précoce révèle un don pour la peinture et la poésie. Orphelin, il vit en vagabond, puis il est enrôlé dans l'armée polonaise et combat contre les Bolcheviks, comme le héros principal du roman ! Nous apprenons qu'Isroel Rabon périt à Ponary, un camp d'extermination près de Vilno en 1942.
Ce roman en abîme attire par sa violence allégorique, son intensité émotionnelle rare. La fin du livre sonne de façon prémonitoire : « le jour même, l'homme brun et moi sommes partis pour Katowice. Nous fîmes la moitié du chemin à pied et l'autre en train. Nous fûmes embauchés dans les mines de charbon. Dès le lendemain nous descendîmes sous terre. Et la terre fut ensevelie, et nous fûmes ensevelis avec elle, par la neige. »
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