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Critique de Floyd2408


Atiq Rahimi est un homme d'origine Afghane, il a vécu l'emprise soviétique dans son pays et puis la montée islamique avec les moudjahidines, il s'exile en France en 1984 après avoir obtenu l'asile politique. IL est auteur et cinéaste, ses trois premiers romans sont de langues persanes, son quatrième est directement écrit en Français, Syngué sabour. Pierre de patience, édité en 2008, récompensé par le prix Goncourt, Maudit soit Dostoïevski est publié en 2011, le titre déjà attire ma curiosité, étant un lecteur de cet écrivain Russe, puis l'intrigue dans un Kaboul en pleine guerre, miné par des attentats de toute part où un jeune homme se trouve en prise avec sa conscience et celle du roman Crimes et châtiments.
Je me souviens de la lecture de Crimes et châtiments, roman de Dostoïevski, ma première lecture de ce génie Russe, j'en fus bouleversé, par cette force littéraire puissante, une tempête intellectuelle toute entière chavira mon âme et me poussa à découvrir cet homme torturé et ses proses. Atiq Rahimi en choisissant de transposer le roman éponyme de Dostoïevski, Crimes et châtiments dans son pays en crise meurtrière et politique, dans ce Kaboul gangrénée par la violence de vengeance et de haine, une ville de cendre, de fumée, de sang et de pierres, oeuvre une péripétie dangereuse et périlleuse, jonglant de ses mots tel un équilibriste, pour un roman juste et émouvant , laissant le tableau de son pays l'Afghanistan comme décor, devenant au file de l'histoire un acteur principale, c'est comme le dit le quatrième de couverture, c'est le récit d'un meurtre et de ces conséquences.
Le début du roman est le coeur même de l'intrigue, le meurtre de la vieille femme et de l'action involontaire du roman de Dostoïevski sur l'auteur de cet acte sanglant, une longue discussion va se poursuivre tout le long du roman entre le meurtrier Rassoul et Raskolnikov, surtout entre Dostoïevski avec son roman Crimes et châtiments et ce jeune Afghan perdu dans les méandres d'un pays en ruine. Lorsqu'il écrase sa hache contre le crâne de cette macrelle, usurière, son geste s'arrête, sa hache lui échappe et il maudit toute suite Dostoïevski et son roman Crime et châtiments, il laisse cette femme en sang, avec le butin qu'elle emprisonne dans sa main et aussi le coffre remplit de bijou, il devient victime de son crime. Fuyant la scène de crime, il revient par remord d'avoir laissé l'argent et découvre une femme en tchadari bleue ciel, c'est comme un cauchemar pour Rassoul, un témoin et l'argent dérobé, s'ensuit une course poursuite incroyable dans les rues de Kaboul, et avec la folie de notre Rassoul, en proie à un délirium certain et une perte de voix, il devient aphone, muet aux autres, seul sa voix interne est entendue par le lecture comme une schizophrénie virtuel s'installant dans le crâne de Rassoul, c'est comme un écho à Raskolnikov, l'un fait taire l'autre, Rassoul chavire dans un monde de culpabilité et de songe éveillé, même ses rêves semblent être des récits vécus, Atiq Rahimi aspire le lecteur dans une spirale obsédante, la folie de Rassoul et ses rêveries de haschischin, il va et vient dans ce fumoir où les histoires emportent la réalité vers des abimes religieuses coraniques et des histoires réelles intimes symboliques.
Rassoul sombre dans un mutisme l'isolant des autres, de son cousin Razmodin, étant proche depuis leur enfance, mais Rassoul se sent étouffé, il n'entend que les reproches, Rassoul semble soupçonneux de tous, de son amoureuse aussi, la belle Souphia, orpheline de son père tué, vivant avec sa mére et son petit frère Daoud chassant les pigeons, Rassoul devrait s'occuper de cette famille, mais ce meurtre l'isole de tout le monde, il est obsédé par ce crime sans cadavre, de cette femme en tchadari bleu ciel, la voyant partout, même dans ses rêves dans les rues de St Pétersbourg, comme Raskolnikov et ses errances. Rassoul semble appartenir à ce monde trouble, celui de ses cauchemars, comme si son crime en faisait partie.
« le cauchemar, il le vit. La grâce, il en rêve. C'est pourquoi, sans doute, il a envie d'ouvrir les yeux, de quitter son lit, de saluer le soleil noir, de sentir le souffre de la guerre, de chercher sa voix disparue, de penser à son crime… »
Kaboul cristallise le malheur de ce pays, la mort rode à chaque coin de rues, le crime s'incruste dans le coeur de cette ville, devenant un cimetière, c'est une guerre de vengeance, elle n'a pas de fin, le crime se justifie par la religion, la charia est justice, le Coran en devient la loi…
« Toujours nous nous servirons de Lui (Allah), ou de l'histoire, ou de la conscience, ou des idéologies…pour justifier nos crimes, nos trahisons…Rares sont ceux qui, comme toi, ont commis un crime, puis en ont du remords. »
Rassoul est ce spectre sans parole, muet, ombre de lui-même, se réfugiant dans les fumoirs, goutant le paradis artificiel, se perdant dans les vapeurs du Hachisch, lorsqu'il trouve sa voix, il s'accuse toute suite et vient se livrer à la justice, mais Rassoul est seul, personne ne l'écoute comme si sa voix était sourde, ses mots sont un écho inextricable pour le greffier, pour le Qhâzi, pour Parwaiz aussi, l'un pense que son âme est prisonnière de son corps et de cette ville, l'autre c'est juste une histoire de qisâs, il doit trouver la famille de la victime, pour payer le prix du sang, mais son père est communiste, la justice ne juge pas l'individu en soi mais l'héritage de ses parents, et pour le commandant Parwaiz c'est la vengeance qui anime Rassoul.
Atiq Rahimi d'une langue qui n'est pas la sienne, emporte le lecteur dans la névrose de Rassoul, avec des phrases courtes, des dialogues brefs, des monologues schizophréniques, des songes qui s'entremêlent avec la réalité, les écrits de Rassoul et de la poésie lorsque les histoires naissent du coeur des hommes. La fable moderne respire ce roman avec certaine légèreté, même si la mort rode partout comme une fatalité vengeresse, cette passion dévorante consumant les coeurs de ces hommes et de ces femmes aspirés par la fatalité d'un pays sans loi, sans justice et au nom de ce crime Rassoul veut un procès pour changer son pays, et mourir pour ce crime commis.
« Mon procès servira à faire celui de tous les criminels de guerre : les communismes, les seigneurs de guerre, les mercenaires… »
Il veut briser la spirale infernale, celui d'un ouvrage raté, recommencer afin d'oublier. Pour Rassoul le crime entraine le crime, il faut le sacrifice du deuil, Atiq Rahimi cite Gandhi dans les paroles de Rassoul avec cet adage.
« Oeil pour oeil, et le monde finira aveugle. »
Chaque dialogue pousse les interlocuteurs à puiser au fond d'eux pour convaincre l'autre, Rassoul aura trop longtemps perdu la voix pour crier ses remords, son amour pour Souphia, son hymne de paix pour son pays, mais le roman s'attache à des personnages secondaires invisibles, comme la mére et sa soeur de Rassoul qu'il ne voit pas, juste des nouvelles par son cousin Razmodin et l'annonce de la mort de son père par le courrier de mére. Mais d'autres personnages se greffent autour de Rassoul, comme ses compagnons de fumerie, Mostapha, Jano, Kâka Sarwar et sa bande, leur causerie philosophique teintée de lyrisme, comme l'histoire des Yâdjûdj et Mâdjûdj, celle de la vallée des Mots perdus, Rassoul se remémore aussi des anecdotes comme celle de l'âne et de son regard cherchant la mort, même le commandant Parwaiz narre sa petite histoire avec sa métaphore de l'obus, source de vie.
Atiq Rahimi nous offre un récit puissant, rendant hommage à Dostoïevski avec son roman Crime et châtiments en toile de fond d'un Afghanistan en guerre.
« Parce qu'elle n'a pas de conscience. Elle n'a pas de conscience parce qu'elle n'en a pas besoin. Elle vit sa légèreté, sa mort…tout simplement. » La mouche
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