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Critique de GeraldineB


Nul n'ignore que les voyages sont faits pour les gens bien portants. Les autres ne partent pas, ne partent plus. Ils se contentent de rêver les départs.
Philippe Rahmy est né avec la maladie des os de verre. Enfant, il se brisait au moindre choc. Enfermé dans son corps, prisonnier de ses douleurs, il n'a pour ainsi dire jamais quitté la Suisse. Mais en 2011, quand l'Association des écrivains de Shangai l'invite en résidence pour deux mois, il décide de relever le défi et s'envole pour la Chine. C'est un voyage long et dangereux pour sa santé mais il brûle de découvrir ces terres lointaines qui l'ont si souvent fait rêver.
Seulement, parfois, il y a loin des fantasmes à la réalité et Philippe Rahmy ne retrouve pas le Shangai qu'il s'était imaginé.

"Shangai n'est pas une ville. Ce n'est pas ce mot qui vient à l'esprit. Rien ne vient. Puis une stupeur face au bruit. Un bruit d'océan ou de machine de guerre. Un tumulte, un infini de perspectives, d'angles et de surfaces amplifiant le vacarme."

C'est une surprise, un saisissement. Mais très vite, la déception laisse place à l'envie de se jeter dans l'inconnu, dans la houle de cette ville mouvante et inquiétante.

"La Chine. Shangai. Rien n'est à la mesure de l'individu. On perçoit un mouvement circulaire. On se laisse emporter. Cet infiniment grand passe de l'ombre à la lumière. La nuit tombe, on est sous terre. le jour se lève, on est au ciel. Mais jamais on ne touche le sol."

"Béton armé" est avant tout un récit de voyage. Philippe Rahmy s'est jeté à corps perdu dans la découverte de Shangai, ville magique et monstrueuse. le sous-titre "Shangai au corps à corps" illustre à quel point l'individu doit faire effort pour exister face à ce corps urbain gigantesque et destructeur de toute individualité. Pas de verdure ici mais des barres d'immeubles en béton, des néons qui clignotent toute la nuit. Shangai ne dort jamais et bruisse de millions de vies qui s'ignorent. Si l'on veut vraiment savoir qui elle est, il faut lâcher prise et se laisser engloutir par ses rues et ses échoppes pour en saisir la pulsation.
Mais tout voyageur sait que se perdre est parfois le meilleur moyen de se trouver soi-même. Ainsi, au hasard des promenades et des rencontres, Philippe Rahmy découvre son corps en mouvement pour la première fois et se grise aux mille sensations qui viennent l'envahir.

Bienveillant mais aussi critique envers les chinois, l'auteur les croque avec un talent de caricaturiste qui, j'en conviens, les ferait sûrement rire jaune. Mais loin de moi l'idée de chinoiser là-dessus car je me suis beaucoup amusée en lisant certains passages. Ce sont de petits instantanés du présent qui font parfois ressurgir des images du passé, des questions qui restaient en suspens. L'émotion est là, portée par une écriture magnifique, nous faisant vite passer du rire aux larmes.

"Combien de fois mourir de son vivant, quelle place faire à la mort en soi pour écrire? (...) Quelque chose se termine. Cette chose, je veux essayer de la raconter, sachant que Shanghai n'aura de cesse de me harceler parce qu'elle est belle et capricieuse..."

Ecrire "Béton armé" c'était vouloir raconter Shangai, bien sûr, mais c'était aussi témoigner d'une belle expérience humaine. Sortir de soi, aller à la rencontre de l'autre, de l'étranger, c'est revenir riche d'un bagage qui ne se voit pas mais qui s'entend dans la petite musique de l'écriture. Alors, par son voyage en Chine, Philippe Rahmy a fait bien plus que défier sa maladie. Il a peut-être même réussi là son plus grand pari, en prouvant qu'un auteur de l'intériorité pouvait aussi projeter son écriture sur le monde.
Et si certains lecteurs n'ont apparemment pas reconnu Shangai dans ces pages, je serais tentée de leur dire "Et alors?" Car pour la précision il y a les guides touristiques et pour le rêve il y a la littérature. Que le lecteur soit donc prévenu, "Béton armé" n'est pas une description de la Chine mais une écriture de la Chine.

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