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EAN : 9782710370741
208 pages
La Table ronde (05/09/2013)
3.47/5   31 notes
Résumé :
Lorsque l’Association des écrivains de Shanghai l’invite en résidence, à l’automne 2011, Philippe Rahmy saisit cette chance, synonyme de péril. Fragilisé par la maladie, il se lance dans l’inconnu. Son corps-à-corps intense avec la mégapole chinoise, « couteau en équilibre sur sa pointe », « ville de folle espérance et d’immense résignation » donne naissance à un texte de rires et de larmes, souvent critique, toujours tendre, mêlant souvenirs d’enfance, rêves et fan... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Nul n'ignore que les voyages sont faits pour les gens bien portants. Les autres ne partent pas, ne partent plus. Ils se contentent de rêver les départs.
Philippe Rahmy est né avec la maladie des os de verre. Enfant, il se brisait au moindre choc. Enfermé dans son corps, prisonnier de ses douleurs, il n'a pour ainsi dire jamais quitté la Suisse. Mais en 2011, quand l'Association des écrivains de Shangai l'invite en résidence pour deux mois, il décide de relever le défi et s'envole pour la Chine. C'est un voyage long et dangereux pour sa santé mais il brûle de découvrir ces terres lointaines qui l'ont si souvent fait rêver.
Seulement, parfois, il y a loin des fantasmes à la réalité et Philippe Rahmy ne retrouve pas le Shangai qu'il s'était imaginé.

"Shangai n'est pas une ville. Ce n'est pas ce mot qui vient à l'esprit. Rien ne vient. Puis une stupeur face au bruit. Un bruit d'océan ou de machine de guerre. Un tumulte, un infini de perspectives, d'angles et de surfaces amplifiant le vacarme."

C'est une surprise, un saisissement. Mais très vite, la déception laisse place à l'envie de se jeter dans l'inconnu, dans la houle de cette ville mouvante et inquiétante.

"La Chine. Shangai. Rien n'est à la mesure de l'individu. On perçoit un mouvement circulaire. On se laisse emporter. Cet infiniment grand passe de l'ombre à la lumière. La nuit tombe, on est sous terre. le jour se lève, on est au ciel. Mais jamais on ne touche le sol."

"Béton armé" est avant tout un récit de voyage. Philippe Rahmy s'est jeté à corps perdu dans la découverte de Shangai, ville magique et monstrueuse. le sous-titre "Shangai au corps à corps" illustre à quel point l'individu doit faire effort pour exister face à ce corps urbain gigantesque et destructeur de toute individualité. Pas de verdure ici mais des barres d'immeubles en béton, des néons qui clignotent toute la nuit. Shangai ne dort jamais et bruisse de millions de vies qui s'ignorent. Si l'on veut vraiment savoir qui elle est, il faut lâcher prise et se laisser engloutir par ses rues et ses échoppes pour en saisir la pulsation.
Mais tout voyageur sait que se perdre est parfois le meilleur moyen de se trouver soi-même. Ainsi, au hasard des promenades et des rencontres, Philippe Rahmy découvre son corps en mouvement pour la première fois et se grise aux mille sensations qui viennent l'envahir.

Bienveillant mais aussi critique envers les chinois, l'auteur les croque avec un talent de caricaturiste qui, j'en conviens, les ferait sûrement rire jaune. Mais loin de moi l'idée de chinoiser là-dessus car je me suis beaucoup amusée en lisant certains passages. Ce sont de petits instantanés du présent qui font parfois ressurgir des images du passé, des questions qui restaient en suspens. L'émotion est là, portée par une écriture magnifique, nous faisant vite passer du rire aux larmes.

"Combien de fois mourir de son vivant, quelle place faire à la mort en soi pour écrire? (...) Quelque chose se termine. Cette chose, je veux essayer de la raconter, sachant que Shanghai n'aura de cesse de me harceler parce qu'elle est belle et capricieuse..."

Ecrire "Béton armé" c'était vouloir raconter Shangai, bien sûr, mais c'était aussi témoigner d'une belle expérience humaine. Sortir de soi, aller à la rencontre de l'autre, de l'étranger, c'est revenir riche d'un bagage qui ne se voit pas mais qui s'entend dans la petite musique de l'écriture. Alors, par son voyage en Chine, Philippe Rahmy a fait bien plus que défier sa maladie. Il a peut-être même réussi là son plus grand pari, en prouvant qu'un auteur de l'intériorité pouvait aussi projeter son écriture sur le monde.
Et si certains lecteurs n'ont apparemment pas reconnu Shangai dans ces pages, je serais tentée de leur dire "Et alors?" Car pour la précision il y a les guides touristiques et pour le rêve il y a la littérature. Que le lecteur soit donc prévenu, "Béton armé" n'est pas une description de la Chine mais une écriture de la Chine.

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Béton Armé a reçu la Mention Spéciale du jury du Prix Wepler-Fondation La Poste, le 11 novembre 2013.

Béton Armé ou l'impossible tâche de noter un texte extraordinairement beau, mais dans lequel je n'ai pas reconnu Shanghaï : où se situe la limite entre fantasmes et désinformation ...
Après la découverte de ses livres ("Mouvement par la fin - un portrait de la douleur", ou "Demeure le corps - chant de l'exécration") beaucoup de lecteurs savent déjà que Philippe Rahmy est un écrivain talentueux.
Pour "entrer" dans le texte de Béton Armé, il faudrait à mon avis faire table rase de tout ce que l'écrivain a livré de lui-même dans ses précédents écrits, et découvrir ce nouveau livre en oubliant le sévère handicap dont il souffre en permanence. Car on plonge en effet brutalement dès les premières lignes dans le vif du sujet et à aucun moment, volontairement, Rahmy ne nous préviendra que c'est un homme fragilisé qui part ainsi à la découverte d'une mégapole effrayante dans sa fureur, dans ses vacarmes "de machine de guerre".La maladie, on la découvre lentement, au fil de ses souvenirs, de son enfance racontée par petits retours en arrière. Mais jamais il n'en est question lorsqu'il nous raconte Shanghaï : d'ores et déjà, ce "dieu" comme il la nomme, a fait de lui un homme debout, prêt à se battre pour, au terme de son apparente errance, aboutir à une délivrance à laquelle, on le comprendra plus tard, il aspirait dès son arrivée à Shanghaï.
Mon avis est qu'il serait dommage d'ouvrir le livre et le lire au hasard des pages, sans respecter le fil d'Ariane que Rahmy nous tend dès la première ligne, même si on ne le saisit pas immédiatement : car le texte, sublime dans sa limpidité, ne se laisse pas si facilement appréhender ! Certes cela reste possible puisqu'il est construit en paragraphes courts apparemment indépendants les uns des autres. Mais se livrer à une telle lecture séquencée serait amputer le livre de son rythme inexorable, lui ôter son "âme", ce mouvement lent mais sûr qui le porte en avant, page après page, jusqu'à l'épilogue : le but ultime vers lequel finalement on se sentait happé sans le réaliser, depuis la première page.
"Béton Armé" n'est donc pas pour moi "une succession de fragments organisés en 42 chapitres", comme on peut le lire dans l'Humanité. Je l'ai ressenti au contraire comme un lent cheminement harmonieusement rythmé par la découverte de Shanghaï, un affrontement permanent qui, devenant peu à peu quête initiatrice, labyrinthe, poussant inexorablement Rahmy et son lecteur vers ce que j'appellerai le "Saint Graal" devant lequel Rahmy (redevenant ainsi européen, puisque rendu au terme de sa quête) s'agenouille : la Belle Pudong. L'Oeil du Cyclone, l'Ultime But, la mort sacrificielle, à genoux .
"Pudong domine. Quelque soit la volonté qu'on oppose à cette beauté froide, on s'agenouille. Quel que soit le régime capable d'un tel prodige, on l'aime. Et puis on se sent mourir de toutes parts". (page 182).

Voir Pudong et mourir. Mourir pour mieux renaître de ses cendres, et tel le Phoenix revenir à la vie, dépouillé de ses anciennes souffrances, des morts que l'on porte toujours en soi et qui nous entravent dans l'amour qu'ils nous vouent encore, eux aussi. "Ami, frère, je t'ai cherché dans la foule chinoise comme si je marchais dans le royaume des morts". (page 203). Mais à l'inverse d'Orphée, c'est un homme délivré, apaisé, qui rentrera en Europe : l'ami tant aimé et mort tragiquement dans son enfance restera dans les mystérieuses limbes de Shanghaï pour mieux se sublimer, et Rahmy se délivrera de l'anathème "jeté sur le monde indifférent et sur la vie impuissante. Mon voyage prend fin et le tien commence, ami, frère, une ascension au milieu des étoiles. Je te rends ta liberté. Je rentre chez moi parmi les vivants". (page 203).
"Jamais je n'ai vu se dessiner, comme ici, l'avenir du monde. Shanghaï est le chemin le plus court entre hier et demain". (Page 148).
Voilà : le chemin esquissé par petites touches, tel un tableau surgissant des pensées de Rahmy, se termine ici sur l'autel dédié à Pudong, et se refermera sur l'hier, pour mieux lui ouvrir demain. Shanghaï acceptera l'offrande, celle de l'ami, du frère que Rahmy aura enfin le courage d'arracher à lui-même avec cette violence qui le lie à son âme soeur, celle de Shanghaï : "ce visage aux cheveux noirs ne m'a pas quitté. Est-il celui d'un ange, d'un démon, est-il l'image de ma muse ou de ma folie ? Je le dépose à tes pieds. Je le déchire aux quatre coins de Shanghaï. Je le répands aux carrefours comme on disperse des cendres, comme j'ai produit et reproduit, la nuit de ta mort, l'anathème que j'ai jeté". (Page 203).
Le livre refermé, revient en un lointain écho une autre quête, un autre labyrinthe, une autre ville : une ville Janus, qui, telle Shanghaï, aspira dans le passé un autre héros : c'est Venise, solaire, éclaboussée de lumière avec ses murs peints à la chaux pour rejeter loin la mort qui rôde ; noire et délétère dans ses mystères, venimeuse et morbide, tortueuse, retenant un homme qui par amour aussi, lui, prendra la décision contraire : celle de rester quand il faudrait partir et renouer avec la vie : oui, Béton Armé me ramène à Venise, et cet homme qui voudrait fuir mais qui finalement restera pris dans les filets de la Ville, c'est Aschenbach.
Mais là où Rahmy triomphera en s'arrachant au souvenir de l'ami perdu , Aschenbach lui, se délitera dans la morbidité de Venise, et en quête d'un amour impossible, y perdra son âme et sa vie. Voir Venise et mourir ; voir Shanghaï et revivre.
Ce livre confirme l'immense talent de Philippe Rahmy.
Mais malgré ma vive admiration je resterai marquée par ce que l'on peut prendre pour des fantasmes, mais qui sont pour moi et pour des étudiants chinois en langue française à qui j'ai fait lire le livre, comme des clichés sur la Chine et ses habitants.
Là où finit le fantasme commence la désinformation.
De par mon travail étant appelée souvent à vivre à Shanghaï, je n'ai absolument pas reconnu la mégapole. Shanghaï est en fait la plus européenne des villes chinoises, la plus occidentale. L'âme chinoise est vive, toujours prompte à s'intéresser aux scènes de rue. En chine, à Shanghaï comme ailleurs, en quelques minutes une centaine de personnes peuvent se rassembler dans une rue, sur une place, pour n'importe quel petit fait divers, et discuteront vivement "l'événement" entre eux. Rien ne les laisse indifférents. Et surtout pas un accident, une chute, une dispute, une rixe ...Ils sont la vie-même. Et pas du tout ces hommes et ces femmes fatalement indifférents et repliés en eux-mêmes que nous décrit le livre.
Personne en Chine ne passe devant un malade sans lui porter secours.
L'auteur nous parle de l'indifférence des Chinois face à une personne accidentée, et nous explique qu'en Chine, devant payer les frais d'hôpitaux si l'on vient en aide à un blessé, personne ne bronche :
Je connais, comme tout Shanghaï d'ailleurs, ce cas juridique d'un homme ayant amené à l'hôpital une vieille dame trouvée inconsciente sur la chaussée, suite à un accident dont il n'avait même pas été témoin : il fut contraint de régler les frais de santé. Il s'agit d'un cas unique bien connu, et qui a divisé Shanghaï en 2011. L'affaire fit grand bruit à l'époque : une vieille dame chinoise victime d'un accident de la circulation fut trouvée inconsciente par un automobiliste, qui bien sûr par civisme l'emporta à l'hôpital où elle fut soignée. Ne pouvant régler les frais des soins, la vieille dame assigna en justice son sauveur, l'accusant de l'avoir lui-même renversée. Faute de preuves tangibles (la femme était inconsciente et ne pouvait reconnaître le chauffard), la justice chinoise fit son travail en condamnant l'automobiliste à payer une partie de la facture, mais pas sa totalité puisque aucune preuve ne pouvait être apportée ... rien ne prouvant le contraire non plus. Ce cas est encore dans toutes les mémoires là-bas. En Chine, un homme amenant à l'hôpital une personne blessée n'a pas à payer la facture. J'ai vu devant le campus de Jiao Tong un cycliste chuter sur la route. En quelques secondes un attroupement s'était formé, cinq minutes plus tard l'ambulance arrivait, appelée par la foule, et embarquait prestement le cycliste qui n'en demandait pas tant, ayant semble-t-il simplement mal à la jambe.
On peut par ailleurs et sans problème en quelques clics, comme en France, se connecter aux sites littéraires, et Babelio est à la portée de tous aussi facilement qu'en France. Les journaux également, le Monde comme Le Figaro. Les réseaux sociaux sont bloqués, sauf les réseaux sociaux type Linkedln. Cependant il suffit d'un VPN à 3 ou 5 euros par mois pour facilement outrepasser ces blocages.
Beaucoup de fausses informations, participant aux clichés qui circulent, au moment où les Chinois s'ouvrent enfin à l'étranger. Les étudiants FLE chinois qui ont lu le texte ont été émus par sa beauté, mais blessés, choqués par l'image qu'il renvoyait de leur ville, de leur âme. "Laissons faire le temps, un jour, on nous comprendra", m'a confié sagement un des étudiants...
"Béton Armé" est un livre que l'on n'oublie pas. Mais je regrette de ne pas y avoir retrouvé le peuple shanghaïen ...
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Philippe Rahmy est invité par l'Association des écrivains de Shanghai. Il sait, qu'en raison de sa maladie, se rendre à Shanghai constitue une sorte de défit. Ce serait comme descendre les chutes du Niagara dans un tonneau. Dès le premier chapitre, dès les premiers mots il nous fait sentir le tourbillon, la frénésie qui anime la ville, sorte de maelstrom dans lequel il va se laisser emporter.

Il n'est pas toujours tendre avec cette ville, ses habitants. On est loin de la vision de carte postale. La première impression qu'il nous donne, est celle d'une ville sombre, ramassée sur elle-même. On cherche un peu d'humanité, de douceur, une parcelle de quiétude.

« Quelle est la voix du monde ? Celle qu'on trouve dans les livres ou la parole de la rue ? La rue dit la vérité. Elle parle comme un enfant de douze ans »

Car c'est cette Shanghai là, qu'il nous fait découvrir, violente, sombre. Bien que blessé par la vie, il se précipite dans ce déferlement de vie, de violence. Rien ne le laisse indifférent, rien ne doit ou ne veut se cacher à sa vue. Car la ville se met à nue devant lui. Il nous révèle, en elle, ce qu'elle possède de plus humain, même s'il s'agit de ce qu'elle a de plus dur.

« Aux tourbillons de feuilles mortes, de papiers gras qui envahissent les rues, s'ajoute cet autre tourbillon plus sombre, incroyablement sombre de la foule coulant à la vitesse du fleuve en contrebas ».

Parce que loin de fuir cette masse grouillante, il la cherche, il s'y plonge avec délectation. Elle ranime en lui des souvenirs d'enfance tout aussi durs. C'est un affrontement entre lui et ce qu'il est, un être fragilisé par la vie, mais qui désir plus que tout la prendre à bras le corps.

« J'aime la foule bruyant, serrée. J'aime la populace. J'aime l'odeur de la poudre. J'aime la couleur du sang. J'aime ce plus beau souvenir d'enfance ».

Mais au milieu de ce tourbillon de vie, il distille ça et là des parcelles de douceur et de tendresse. A la première lecture on peut être effrayé par cette description de la ville. On n'a pas rêvé de Shanghai ainsi. Où est la Shanghai de carte postale, la ville touristique brillante de mille feux la nuit, illuminée de mille couleurs, ville cosmopolite. On se laisse prendre au jeu, à cette ville, qui se livre tout crue, sans fard, presque laide, mais que l'on se prend à aimer. Ce n'est plus une ville mais une explosion de sentiments.

« Toujours ce bruit impossible à décrire qui se double, à intervalles irréguliers, d'un mystérieux carillon à quatre tons. Shanghai aux milliers de sirènes ».

Ville étrange et dérangeante, Philippe Rahmy nous montre que l'on ne va pas à l'autre bout du monde pour chercher une carte postale, mais justement, ce qu'elle ne vous montre pas. Et peut être qu'alors c'est vous même que vous découvrirez.

« Pensée du jour : manger avec des baguettes est comme courir dans un cauchemar, une suite de mouvements précipités qui ne font pas progresser d'un pas ».

Bon voyage.
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Philippe Rahmy, atteint de la maladie des os de verre, a grandi dans un carcan, cloué au lit par des fractures dans toutes les parties de son corps, traversé de clous et de broches, enferré dans la douleur. Il s'en est sorti par les mots et la littérature, qui lui ont permis de se lever et de vivre, et lui tiennent lieu de charpente corporelle.

Invité en résidence d'écriture à Shanghai à l'automne 2011, il part pour la première fois en voyage, à l'autre bout du monde, et nous livre dans « Béton armé » les notes de ce séjour, le récit des lieux, des rencontres, par un homme qui tout à coup s'immerge dans cette ville, organisme aux dimensions et aux pulsations colossales dans lequel il se reconnaît.

« Shanghai et moi avons le même goût pour la violence. Nous nous sommes construits et nous continuons de grandir par accidents successifs. Jamais je n'ai vu autant de corps meurtris qu'à Shanghai. Il n'y a ni guerre ni famine. Les gens semblent heureux. Mais chaque rue résonne de chocs et de cris. »

Toujours habité par les douleurs de son corps, qui l'a doté d'une acuité de bête sauvage au-delà de toute norme, Philippe Rahmy rend compte, racontant des rencontres, des scènes de rue ordinaires, dans un texte traversé de fulgurances d'une force inouïe, de cette incandescence d'humanité que sont la Chine et Shanghai.

« "Qui refuse sa nuit, vit en aveugle." J'écris cette phrase dans ma main. J'ai bu. Je ne connais pas ce quartier. Je n'ai plus d'argent. Je suis perdu. Je suis heureux. Je suis chinois. »

Philippe Rahmy se fond dans la foule, ayant tellement rêvé de devenir banal et d'être accepté. Toujours avec les échos de sa propre histoire, il s'imagine ici en chinois modeste et convenable, et raconte la ville à hauteur de passants, hommes et femmes jeunes ou vieux, grand-mères ou prostituées. Il est le témoin de la façon dont l'homme consume son milieu, «la défaite de la nature et le triomphe des cités».

«Jamais je n'ai vu se dessiner comme ici, l'avenir du monde. Shanghai est le chemin le plus court entre hier et demain.»
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Je connaissais Philippe Rahmy pour sa poésie en prose. Je découvre aujourd'hui "Béton armé", un récit et un poème écrit durant un séjour de l'auteur à Shanghai. Je suis tout à fait emballée par ce texte.

Je connais la Chine pour y avoir séjourné cinq ans entre 2007 et 2011, et j'ai passé 3 ans à Shanghai. J'avoue avoir été bouleversée par ce livre qui m'a donné le sentiment de saisir la réalité chinoise avec beaucoup de tendresse, de désespoir aussi, parfois d'exaspération face au régime, aux privations de liberté dont la société civile est l'objet. Ce livre est sévère envers le pouvoir, et tendre envers les gens. Il ne donne pas une image de la Chine comme le ferait un guide touristique, ou un récit de voyage classique. Moi non plus, je n'ai pas retrouvé la Chine que je connais, car la Chine que je connais (j'ai également enseigné le Français à Shanghai), la Chine que connaissent mes amis chinois, ou mes étudiants, ne ressemble pas à un livre. Seul la littérature a le pouvoir de déformer la réalité pour produire une réalité alternative, pour produire une émotion, pour recréer le monde selon la sensibilité de l'écrivain. L'écrivain ne doit pas dire la vérité. Il crée une autre réalité avec ses textes.

J'ai aussi aimé ce livre qui articule la grande et la petite histoire. Il met face à face la Révolution chinoise et ses massacres, et la seconde guerre mondiale qui a ravagé l'occident. Ce face à face permet de montrer qu'il n'existe pas de société parfaite, que la tragédie humaine est notre lot commun, un héritage que "Béton armé" de Philippe Rahmy nous restitue avec grande finesse et pudeur. Il est bon que ce livre heurte les jeunes Chinois qui le lisent, il est bon qu'il bouscule et qu'il fasse réagir. Je terminerai en disant que je rentre d'un séjour à Hong Kong. J'ai passé "Béton armé" à plusieurs amis francophones sur place, qui l'ont adoré, le trouvant "trop doux" avec la Chine... je pense que ce livre trouverait un réel lectorat à Hong Kong, où les gens savent quel est le prix de la liberté d'expression, et quelles sont les contraintes que leur impose le gouvernement de Beijing. "Béton armé" est un vibrant appel à la liberté de penser et de ressentir.

Je souhaite vous faire partager mon enthousiasme pour ce texte qui réinvente le récit de voyage. Il n'est plus question, pour l'auteur, de "rendre justice" ou même de faire aimer le pays ou la société qu'il découvre. Il lui importe, à mon sens, de traduire l'immense diversité d'un peuple, le peuple chinois, la population de Shanghai, au moyen d'une langue magnifique dont la seule obsession est la littérature, et surtout pas la vérité.

Un livre à lire, à faire circuler. Bon voyage dans les livres, bon voyage sur notre petite planète commune!
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critiques presse (5)
LaLibreBelgique
10 décembre 2013
Ce voyage, qu’il dépeint comme une traversée dans la nuit entrecoupée de quelques flashs, et le texte qu’il en livre lui ont ouvert la porte d’un autre lui-même. "La littérature nous accorde un sursis. Ce qu’on écrit dépasse ce qu’on est."
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Telerama
13 novembre 2013
Trouvant les mots les plus précis, le ton le plus juste, pour dire ces confrontations multiples — avec le dehors, avec son enfance et ses démons intérieurs, avec ses peurs et ses entraves —, Philippe Rahmy en tire une morale non conformiste, une leçon de savoir-vivre au sens le plus littéral, le plus digne du terme, et qui ne vaut pas pour lui seul.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lhumanite
14 octobre 2013
Béton armé n’est ni un roman ni un récit de voyage. Plutôt une succession de fragments organisés en quarante-deux chapitres [...] un grand texte absolument hors normes.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Lexpress
24 septembre 2013
Béton armé, par Philippe Rahmy: un voyage qui conduit le narrateur, atteint de la maladie des os de verre, dans la ville chinoise de Shangai. Un choc humain.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Liberation
03 septembre 2013
Que se passe-t-il quand on jette un casanier de force, minutieux lecteur de Juan Carlos Onetti et Roger Laporte, dans un grand bain de réel ? Il en sort un texte plein d’humanité, d’épiphanies, de lutte entre les mots et le monde.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Là-bas, en bout de l'avenue, la fenêtre de ma chambre est allumée. Je reconnais la tache rouge de mon écharpe sur la rampe de mon bureau. Les choses continuent d'exister quand nous ne sommes pas là. Il suffit de les disposer avec soin pour que les autres les trouvent belles et s'en servent en notre absence. Écrire. Que sont les livres sinon la chambre vacante d'un écrivain parti en voyage dans ses histoires. p 63-64 folio
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Comment la littérature, toute de nuances et de faux-fuyants, qui ne nous aide pas à comprendre la vie, mais à en faire notre demeure, qui nous désoriente avec bonheur, multipliant les chemins des écoliers et les occasions de faire l'école buissonnière sur la ligne droite qui mène du berceau à la tombe, aurait-elle le pouvoir de commander la matière ? Je l'ignore. J'en ai fait l'expérience. Je m'en émerveille chaque jour. Mes blessures se sont raréfiées au cours des années tandis que ma mère poursuivait ses lectures. Encore trop fragile pour affronter le monde, je restais allongé, libéré de mes plâtres, jouissant de la légèreté de mes draps, du moelleux de mes coussins et de mon édredon. Un après-midi, je m'en souviens très bien, nous venions de terminer Le Grand Meaulnes, je me suis redressé. J'ai senti mes jambes prêtes à me porter. Je me suis assis au bord du lit. Je me suis levé. J'étais Augustin Meaulnes, grand et mystérieux au seuil de la vie.
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La littérature est possible parce qu'elle est périssable. Son agonie, plus lente que la nôtre, nous donne le sentiment de l'éternité. La littérature nous accorde un sursis. Ce qu'on écrit dépasse ce qu'on est.
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Une poussière bleue couvre la nuit ajourée de néons. Les inscrptions sur les murs, les visages, tout ce qui tranche, tout ce qui heurte, est enveloppé de douceur. On respire un air familier. L'air des Alpes. On croit reconnaître la voix de quelqu'un dans une conversation attrapée au vol. La ville correspond à l'idée que je me fais de la vie antérieure. Une mélancolie humanise le délire urbain.
Brutalement, le vent met fin à ce simulacre d'hiver. Poussière, sables, papiers, sacs en plastique, tourbillons sur tourbillons. p 128
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De même que les plus lointains voyages n'aboutissent jamais aux terres vierges de légende, ou que les plus profondes introspections sont incapables de dévoiler une personnalité originale, l'écriture, qui rêve d'être confrontée à une réalité si nouvelle que les mots viendraient à manquer, redéfinit sans cesse le rhinocéros de Dürer, parle de choses qui ont toujours existé en trouvant les accents d'un émerveillement naïf. Une rivalité s'installe entre ce qu'on voit et ce qu'on prétend voir, ou, de manière plus sournoise, plus intime et radicale, entre ce qu'on voit avec les yeux du corps et ce que regarde l'esprit.
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Videos de Philippe Rahmy (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Philippe Rahmy
Philippe Rahmy - Béton armé .Philippe Rahmy vous présente son ouvrage "Béton armé". Parution le 5 septembre 2013 aux éditions La Table Ronde. Notes de Musique : The Rough Guide to the music of China - 1 Shanghai Xiao Jie (Miss Shanghai)
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