La fille à la porte

Les nichons, le cul, les jambes. Le reste, j’en rêvais encore. J’en rêvais quand je baisais avec ma compagne, quand je lui mettais la main sur la bouche pour ne pas l’entendre gémir parce que je voulais entendre les gémissements de la fille. Dans ma tête, bien sûr.

Je n’ai aucune idée de ce que signifie désirer un enfant. Je ne crois pas l’avoir désiré ; quand j’ai découvert que j’étais enceinte, ce genre de pensée n’avait déjà plus d’importance. Il était là, tout comme moi. Nous existions ensemble. C’était une sensation plus forte que le désir.

« Le pire est passé », disaient les politiciens et, en même temps, ils envoyaient des enfants et de l’argent à l’autre bout du monde. La vérité, c’est que le pire ne pouvait pas passer, parce qu’il n’était jamais vraiment arrivé. Tant que nous étions enfants, nous resterions des enfants, nos mères et pères prendraient soin de nous.

Coup de foudre, ou plutôt complicité de deux jeunes gens égarés en terre étrangère – même si c’était une manière romantique de voir les choses, puisque lui vivait déjà à Miden, avec la perspective d’un avenir solide, un retour de congés déjà programmé, le début imminent de l’année scolaire. Moi, je pouvais m’enorgueillir d’un égarement sincère, j’étais véritablement une étrangère, sans aucun but à cette époque, sans rien à faire à Miden ou ailleurs.

Ce n’était pas une présence féminine qui lui manquait. Ou peut-être que si, mais certainement pas la mienne. Je ne me suis jamais intéressée à la décoration, je ne connais même pas les noms des objets, ou plutôt, je ne connais que les noms, pas ce qu’ils désignent – des mots qui devraient m’évoquer quelque chose, mais qui ne sont que des mots : cantonnières, lampadaire, buffet. Pour autant, la maison n’était pas laide. Les visiteurs faisaient toujours des compliments, qui me paraissaient sincères. Je sais que c’est l’usage, qu’il faut dire un mot, mais je crois que la maison était vraiment accueillante.

C’étaient toujours les autres qui venaient chez moi, j’avais appris à les recevoir. Les gens passaient pour me demander comment j’allais, me donner des conseils et m’offrir des livres sur la maternité, aux couvertures si laides que je ne savais jamais où les cacher. S’ils ne m’apportaient pas des livres, ils venaient avec quelque chose à manger, quelque chose qui parfois s’avérait potentiellement nocif, si bien que la gentillesse se doublait alors d’une autocritique navrée : « Quelle idiote ! Un tiramisu… Des œufs crus ! Comment ai-je pu ne pas y penser ! »