Comme le suggérait Didier Fassin, ''une solution intellectuellement confortable, mais scientifiquement peu défendable, consisterait certes à prétendre avec optimisme que l'aventure humaine est une conquête progressive de ce qu'il en est d'être humain'' [L'ordre moral du monde, Essai d'anthropologie de l'intolérable].
Déprenons-nous du postulat optimiste fondée sur la publicisation croissante des questions sanitaires et environnementales qui fabriquent des êtres informés et combatifs dans un monde toxique.
En revanche, mesurer les tentatives effrénées de domestication de l'incertitude et du risque qui caractérisent les sociétés politiques contemporaines conduit à aiguiser notre regard et accroître notre vigilance. Les vastes cimetières électroniques à ciel ouvert en Chine, au Pakistan ou au Nigeria où hommes, femmes et enfants traitent quotidiennement à mains nues les déchets du monde connecté, où l'eau potable doit être acheminée par citernes, où la saturation irréversible des sols et des eaux en plomb, cuivre, chrome, dioxine et autres composants toxiques est telle qu'aucune agriculture n'est possible, sont l'image dystopique de notre indifférence à la contamination du monde industriel.
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Ainsi, au lendemain de l'abrogation de l'ordonnance royale de 1825, le Comité consultatif des arts et manufactures dit son dépit de voir abrogée une mesure si utile aux ouvriers et impute l'inefficacité des efforts entrepris par les industriels à "l'obstination et l'insouciance de ces mêmes ouvriers qui se refusent à employer les moyens nécessaires pour conserver leur santé". Déploration incantatoire du danger et culpabilisation des ouvriers : les deux mamelles de l'hygienisme sont en place pour un siècle.