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Citations sur Il pleut sur Managua (28)

Le soir tombait sur Managua quand l’inspecteur Morales regagna son bureau de la plaza del Sol. Il mit sous clé, dans un tiroir, le reçu que lui avait remis le commissaire Selva à l’hôtel Lulu une fois l’argent recompté, et alluma l’ordinateur.

Il eut une fois de plus une sensation de douleur lancinante dans la jambe qui avait été amputée bien des années auparavant.
Comme l’ordinateur, un modèle datant de l’Antiquité classique, était très long à charger, il alla jusqu’à sa fenêtre. Le crépuscule ressemblait à un nuage de poussière au-dessus de la péninsule de Chiltepe, et les contreforts lointains de la cordillère de Dipilto, aux confins du lac Xolotlán, commençaient à s’estomper tandis que le ciel prenait une lugubre teinte bleutée.
Autour du rond-point Rubén Darío, les panneaux publicitaires qui dominaient les palmiers étaient déjà illuminés, mais la fontaine centrale, une des attractions de la ville avec ses jets d’eau multicolores, ne coulait pas, laissant à nu le bassin de mosaïques qui avait l’air d’une grande baignoire.
D’en bas montait le chœur strident des klaxons.
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Lorsque l’inspecteur Morales passa près d’elle, elle se mit au garde-à-vous, levant le manche du balai comme un fusil, une habitude héritée du temps où elle en avait un vrai, un vieux BZ tchèque, un matamachos3, quand la police s’appelait police sandiniste. Et elle ne fit rien pour cacher son dédain. Tôt le matin, elle avait laissé sur le bureau de l’inspecteur Morales un mémorandum, écrit au crayon au dos d’une fiche de réclamation de fournitures de bureau :
Sujet : Activités religieuses. À : Camarade Artemio.
"J’ai reçu une invitation à la réception de la Vierge de Fatima, mais qu’on ne compte pas sur ma présence. J’ai honte pour mes camarades révolutionnaires, qui se prêtent à cette mascarade."
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De gros nuages noirs cernaient les montagnes: le temps était à la pluie, de ces pluies qui vous trempent jusqu’aux os et vous attristent l’âme. (p. 209)
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L’inspecteur Morales s’apprêtait à arracher le ruban adhésif pour ouvrir la boîte, mais doña Sofía, occupée à astiquer consciencieusement le sol avec le balai-serpillière, lui vint en aide. Elle sortit un couteau de son jupon, choisit une lame moyenne et découpa délicatement l’adhésif le long de l’ouverture du couvercle.
L’inspecteur Morales retira d’abord de la boîte un tee-shirt. Doña Sofía avança la tête pour l’examiner de près. C’était un tee-shirt bleu ciel, sans manches, avec de nombreuses taches marron.
– Le propriétaire de ce tee-shirt a reçu une balle dans la tête, dit Lord Dixon, l’étoffe est pas trouée ni déchirée.
– Et pourquoi le mort serait obligatoirement le propriétaire du tee-shirt ? dit doña Sofía. En supposant qu’il y ait un mort.
L’inspecteur Morales regarda doña Sofía comme s’il était sur le point de lui reprocher d’avoir donné son avis, mais finalement il préféra la prier de s’expliquer.
– Les assassins ne vont pas se soucier d’enlever un tee-shirt, même plein de sang, à quelqu’un qu’ils viennent de tuer d’une balle dans la tête, dit doña Sofía.
– Sauf s’ils veulent le garder en souvenir, dit Lord Dixon, qui se mit à rire, admettant ainsi son erreur.
– C’est peut-être le sang d’un mort, je suis d’accord avec vous, dit doña Sofía, mais c’est pas forcément son propre tee-shirt.
– Bon, on a compris, dit l’inspecteur Morales, avec un brin d’agacement.
– Et maintenant, regardez bien ceci, dit Lord Dixon.
Il retourna le col du tee-shirt et montra la marque.
— Confections Triana, Made in Colombia, lut l’inspecteur Morales.
— Made in Colombia : ça sent le fric, dit Lord Dixon.
– Non, ça veut rien dire. Maintenant, on fabrique les choses à un endroit et on les vend à un autre, dit l’inspecteur Morales.
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– Tiens-moi informé sur cette affaire, et ne fais pas n’importe quoi, parce que après c’est moi qui paie les pots cassés, le prévint le commissaire Selva, et l’inspecteur Morales comprit que l’entretien était terminé.
Lord Dixon l’attendait déjà quand il rejoignit son bureau. Il arborait un tee-shirt couleur café, avec l’emblème des Marlins de Miami, et des tennis fluo. Il avait déposé sur la table une boîte de savon Marfil, fermée par un ruban adhésif. Doña Sofía entra, portant une tasse en plastique pleine à ras bord d’eau bouillante, et deux sachets de café soluble.
– La camarade est d’avis que la présence d’une image religieuse dans un lieu public est inconstitutionnelle, déclara Lord Dixon en prenant sa tasse.
– L’État est laïque, affirma doña Sofía en soutenant fermement le regard de l’inspecteur Morales, derrière des lunettes trop grandes, qui lui tombaient du nez et qu’elle ajustait sans cesse avec le doigt.
– Écoutez, doña Sofía, mettons les choses au point une fois pour toutes, dit l’inspecteur Morales. Est-ce que c’est moi qui ai fait venir ici la Vierge de Fatima ? Moi, on m’ordonne de descendre l’accueillir, et j’obéis. Et vous, vous avez eu tort de vous rebeller et de ne pas y aller.
– Moi, je ne suis pas militaire, je suis une simple femme de ménage, répondit doña Sofía.
– Et toi, dit l’inspecteur Morales à Lord Dixon, tu continues à apporter de l’eau à son moulin !
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Comme beaucoup d’autres combattants de la guérilla, il avait abandonné ses études universitaires pour les reprendre quelques années plus tard, alors qu’il était déjà en service dans la police, et c’est comme cela qu’il avait obtenu sa licence de droit, spécialité droit pénal, grâce aux cours intensifs de fin de semaine à l’Université d’Amérique centrale. Il avait également suivi, après les dernières années de la révolution, des cours à Washington sur les techniques de recherche des stupéfiants, et c’était justement le prétexte avancé pour mettre un veto à sa désignation : ses connaissances dans un domaine aussi délicat et son expérience le rendaient indispensable à la tête de la direction. De plus, il s’entendait bien avec ses homologues de la DEA. Il pouvait ainsi donner toute sa mesure au sein de la direction, jusqu’à l’heure de la retraite fixée par le règlement.
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L’inspecteur Morales pensait que son chef était une espèce rare par les temps qui couraient, trop droit et trop honnête, à un point qui frisait le ridicule, comme s’il avait prêté un serment de boy-scout. C’est pour cela qu’il dérangeait certains de ses collègues du haut commandement, et que d’autres s’en méfiaient. Son nom était toujours mentionné parmi les candidats au poste de commissaire principal, tous les quatre ans, à l’occasion du renouvellement du Commandement national, mais il était évident qu’il n’entrerait jamais dans le trio officiel de postulants que la police elle-même devait, selon la loi, proposer au président.
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Le commissaire Selva, debout, penché sur son bureau, consultait tranquillement la rubrique sportive du Nuevo Diario et continua sa lecture, tout en écoutant les informations de son subordonné. Blond, le visage allongé, maigre et manifestement attentif à sa ligne, ayant toujours l’air de sortir de chez le coiffeur, il portait régulièrement la main à ses épaulettes, où brillaient des décorations, pour en chasser des particules invisibles de saleté. Sans l’uniforme, il aurait fait penser à un de ces écoliers appliqués qu’on photographie assis à leur pupitre, avec en toile de fond la carte en relief du Nicaragua et le globe terrestre.
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Le lendemain matin, à sept heures et demie, l’inspecteur Morales se présenta devant le commissaire Umanzor Selva, directeur de la brigade des stupéfiants, pour lui faire un premier rapport verbal sur l’affaire et régler le problème de la libération du prisonnier, qui conditionnait la déposition du témoin. Auparavant, il avait passé en revue les quotidiens, et tout ce qu’il avait trouvé, c’était une brève dans les pages intérieures de La Prensa, envoyée par le correspondant local de Bluefields, qui évoquait l’affaire sous le titre “Des villageois démantèlent un yacht abandonné”. Tant mieux, s’était-il dit, comme ça, personne ne viendrait perturber son enquête.
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L’inspecteur Morales sortit les photos, mit de côté les factures, une pour les quatre bidons d’essence correspondant au voyage aller et retour du bateau à moteur, et une autre pour l’achat de recharges de Polaroïd.
– Elles sont bien pâles, ces photos ! dit l’inspecteur Morales. On va demander à Chuck Norris de t’offrir un appareil numérique.
– Ou même un de ces modestes téléphones qui prennent des photos, dit Lord Dixon, faites qu’il ait pitié de nous.
L’inspecteur Morales se mit à rire. Mais, loin de la sérénité qui émanait du rire de Lord Dixon, le sien sonnait plutôt comme le croassement d’un perroquet insolent.
Le surnom dont Lord Dixon avait affublé Matt Revilla, l’agent de liaison de la DEA à Managua, n’était pas gratuit. C’était une copie conforme du Chuck Norris des films, avant que Chuck Norris ne devienne vieux, avec le même corps de gorille nain, la tignasse rousse et une barbe également rousse, fournie et broussailleuse. C’était un Portoricain né dans le Bronx et élevé au milieu des Portoricains, qui, en quête d’une bourse d’études universitaires, s’était enrôlé à Fort Stewart dans la 24e brigade d’Infanterie mécanisée et avait ainsi participé à l’opération Tempête du Désert en Irak, en 1991.
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