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Critique de jlvlivres


« Aline » (1905) est le titre du premier roman (1905) de C.F. Ramuz (2002, Grasset, 144 p.). C'est une « petite histoire » dense et touchante, très linéaire, découpée en 17 courts chapitres. Ce sera le prototype de tous les « romans-poèmes » qui vont suivre de cet auteur. Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) est un explorateur suisse des registres et des ressources de la langue, même si c'est spécifiquement de la littérature romande. C'est un essayiste en décalage, et un auteur de nouvelles hors pair. « Raison d'être » qui inaugure la série des « Cahiers Vaudois ». (1914) est une longue série de variations sur l'amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d'être traités, de son propre aveu. Ses « Oeuvres complètes » comprennent 29 volumes et ont eu l'honneur de la Pléiade en deux volumes réunis en un coffret (2005, La Pléiade, 3896 p.).
Ecrivain redécouvert après la lecture du récent « Matlosa » (2023, Editions Zoé, 140 p.), roman de l'écrivain du Vaudois suisse, Daniel Maggetti. Né dans le Tessin en 1961, Il termine ses études de lettres à l'Université de Lausanne par une thèse de doctorat consacrée à « L'invention de la littérature romande 1830-1910 » (1995, Payot, 1995). Il est professeur ordinaire de littérature romande à l'Université de Lausanne et directeur du Centre de recherches des Lettres Romandes. Il s'occupe également aux Editions Zoé de la « Petite Bibliothèque » de C.F. Ramuz, avec presque une vingtaine de titres publiés. Regain d'intérêt donc pour Charles-Ferdinand Ramuz, dont j'ai décidé de (presque) tout lire. Il faut dire qu'il y a de quoi, avec les presque 4000 pages qui regroupent la vingtaine de romans. Les premières lectures ne semblent pas trop fastidieuses, même si je m'attendais à découvrir un monde rural des folles années trente, mais on reste en Suisse.
« Aline » donc. C'est une histoire d'amour, qui comme la plupart des histoires d'amour, finissent mal. « L'obscurité était quelque chose de profond et d'épais comme une fourrure à poils noirs ». C'est le genre qui veut ça, surtout dans une région, très rurale, du début du siècle. Aline est une jeune paysanne qui découvre et est attirée comme par un aimant par Julien Damon, le bellâtre du village. de nos jours, elle aurait été abusée par un prêtre, forcément libidineux, confondant petits garçonnets en culottes courtes et jeunes filles en bouton(s). Mais en Suisse, à cette époque, on en était encore à la jouvencelle, un peu niaise, ignorante de la lubricité des Suisses, qui préféraient assouvir leurs poussées hormonales en s'enrôlant comme gardes au Vatican. Bref, pour Aline, son amour se développe alors qu'il s'éteint vite chez Julien. « Julien Damon rentrait de faucher. Il faisait une grande chaleur. le ciel était comme de la tôle peinte, l'air ne bougeait pas. On voyait, l'un à côté de l'autre, les carrés blanchissants de l'avoine et les carrés blonds du froment ; plus loin, les vergers entouraient le village avec ses toits rouges et ses toits bruns ; et puis des bourdons passaient ». Tout se passe dans un monde très rural, on est au début du siècle. « Il était midi. C'est l'heure où les petites grenouilles souffrent au creux des mottes, à cause du soleil qui a bu la rosée, et leur gorge lisse saute vite. Il y a sur les talus une odeur de corne brûlée ». Comme quoi, la description de la nature vieillit mal. Quid du réchauffement climatique, de la biodiversité des batraciens.
« Aline » toujours. le gogo y verra une réminiscence au rythme langoureux sur lequel il a cru emballer une bimbo, non suisse, et qui s'est ensuivi d'une tôle monumentale.
Heureusement, il reste la langue et l'écriture de C F Ramuz, bien que ce soit son premier roman. Roman de jeunesse, donc, mais dans lequel tout est déjà là, le style, la force implacable du destin, et les jeunes filles au coeur d'artichaut. « Les femmes n'ont pas la tête bien solide. Elles pleurent pour le bonheur, elles pleurent pour le malheur ». Et derrière tout cela, en cadre grandiose, la nature et la montagne. « le ciel avait des nuages blancs tout ronds qui se touchaient comme les pavés devant les écuries. Les vaches dans les champs branlaient leurs sonnailles de tous les côtés ». Nature bien entendu, idéalisée. « Les escargots sortaient leurs cornes noires et tiraient leurs coquilles qui branlaient sur leur dos collant ; quand la terre est humide, les champignons poussaient en une seule nuit dans les feuilles pourries. Les noisettes étaient à peine formées encore et molles dans leur peau verte qui fait cracher, mais on trouvait quelquefois une fraise oubliée, qui vous tombait entre les doigts ».
Que retenir, une fois terminée la lecture. C'est un roman, écrit en Suisse romande au début du siècle. Donc, il y a un siècle. Une époque heureuse ( ??) où les jeunes filles rêvaient au prince charmant, avant d'aller sous le pommier voisin avec son bébé et sa ceinture. Dur retour à la réalité. On pourrait penser que la diffusion des moyens de contraception, et les mises en garde des pratiques sexuelles, ont modifié les paramètres qui régissent les rapports entre sexes. Il a fallu cent ans. Quand on pense aux réactions de rejet qui existent encore dans certains milieux traditionnalistes, ou simplement réactionnaires, comme aux USA, on constate qu'il y a encore du chemin à faire. Cent ans de retard. le pire est que ce roman a sûrement fait pleurer et s'apitoyer dans les chaumières bien-pensantes. le tout sous couvert d'une, ou de plusieurs, églises confites de préceptes déjà rances. On ne dira jamais assez de bien de la laïcité, séparation de la morale et de la religion. J'espère au moins que le pommier a été béni par la suite.de toutes façons, pour la jeune fille, c'était son exclusion de l'église et la perte sèche de la quête pour l'officiant. On ne peut pas tout vouloir et avoir.
Il faudra attendre un peu pour voir CF Ramuz s'intéresser aussi aux problèmes de l'émigration dans « La Garçon Savoyard » écrit en 1936 et publié ensuite dans « Les Cahiers Rouges » (1997, Grasset, 199 p.), et à la condition ouvrière dans « Taille de l'Homme » (2019, Editions Zoe, 140 p.). Christianisme, bourgeoisie, communisme, matérialisme, tout y passe, dans un mouvement néo-rousseauiste, avec une pensée proche de la nature, à taille humaine. « Qui sommes-nous encore dans notre taille, nous autres hommes ? Quelle est encore notre mesure, alors que l'univers est chaque jour et en tous sens plus minutieusement mesuré ? ». Ecologiste avant l'heure, tout comme Madame de Staël (1766-1817) était européenne, dans son château vaudois de Coppet. Donc, on ne doit pas désespérer de voir une évolution se profiler sur le sujet dans une dizaine ou vingtaine d'années. Mêmes idées rances, sans tomber dans un angélisme béat. Décidément, les églises ne sont pas à la pointe sur les sujets sociétaux. Tout comme sur les conditions de fin de vie. Mais il est vrai que cela perturbe profondément les statistiques des élus et des rejetés au moment de la grande comptabilité. Une mentalité d'épiciers.
Retour à Ramuz pour finir « Les mauvaises herbes viennent bien toutes seules, mais rien de ce qu'on sème et de ce que l'on plante, au contraire ».
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